dimanche 14 juin 2015

Tactique : le devoir d’imagination. Par Rémy Hémez

Cet article est issu
du cahier de la Revue Défense Nationale : 
Penser autrement, pour une approche critique et créative des affaires militaires
Il est disponible ici
« Je compte donc sur vous, non pas pour être de bons élèves, sages, méticuleux et bien lisses, mais pour être des officiers de caractère, déliés, incisifs, sans complexe, iconoclastes au besoin.» [1].
La guerre est à la fois une science et un art. A ce titre elle fait appel à des qualités qui, de prime abord, ne sont pas celles du guerrier. Parmi elles se trouve l’imagination, une capacité créatrice qui offre la possibilité de se représenter des objets que l’on n’a pas perçus ou de faire des combinaisons nouvelles d’images. Elle n’est pas divagation mais bien une forme de connaissance.
Dans le domaine tactique, un chef militaire doit sans cesse faire preuve d’imagination et souligner son importance n’a rien d’original. Cependant, des opérations menées dans des milieux de plus en plus complexes et des contraintes budgétaires fortes nous imposent plus que jamais de façonner des solutions innovantes. De plus,  nos adversaires semblent avoir pris l’avantage dans le domaine de l’imagination. Par exemple, au Liban, en 2006, elle était plutôt du côté du Hezbollah [2]. Il est donc nécessaire de passer d’une capacité d’imagination tactique généralement entendue comme étant l’apanage de quelques chefs à son institutionnalisation.
L’imagination tactique, facteur clé de la victoire.
 « […], la tactique c’est avant tout une pratique s’articulant autour de décisions qui supposent une grande détermination, une imagination nourrie d’une solide culture et un caractère affirmé. » [3].
L’imagination est indispensable au tacticien face au « brouillard de la guerre » que décrit Clausewitz et à la nécessité de devoir « décider dans l’incertitude ». N’ayant jamais la possibilité de disposer de toutes les informations, il doit s’attacher à combiner celles dont il dispose afin de décider d’une manœuvre. L’imagination permet par exemple au chef militaire de « […] se faire promptement une représentation géographique de tout espace de manœuvre et par conséquent de toujours pouvoir s’y retrouver.» [4]. Il peut ainsi prévoir les adaptations nécessaires de ses modes d’action.
L’imagination tactique peut aussi participer à la compensation d’un rapport de force défavorable. Lors de la bataille de Bir Hakeim (26 mai-11 juin 1942), le général Koenig ordonne de créer un système défensif dans la profondeur innovant, couplé à une capacité offensive audacieuse inspirée de méthodes anglaises : les jock columns. Cela permet une résistance inespérée de la 1ère division française libre (DFL), pourtant en infériorité numérique écrasante.
D’autre part, l’imagination tactique peut permettre d’obtenir la surprise ou la rupture en offrant des solutions nouvelles ou inattendues. C’est bien ce que recherchaient les Allemands pendant la première guerre mondiale en développant le concept de sturmtruppen. Cherchant des solutions pour mettre fin à l’impasse de la guerre de positions, ils conclurent notamment de leurs études que « les puissants barrages d’artillerie précédant les assauts avaient des effets pervers sur les offensives car ils rendaient le terrain impropre à une progression rapide […]» [5]. Ils firent alors évoluer les troupes d’assaut déjà existantes en modifiant leur doctrine et leurs équipements (mitrailleuses, lance-flammes, etc.).
Enfin, l’imagination tactique est essentielle pour adapter les modes d’actions à l’arrivée incessante de nouveautés technologiques souvent multiplicatrices de force mais toujours inefficaces si elles ne sont pas adossées à une doctrine adaptée : « Le succès, ce n’est pas la technologie, c’est l’idée asymétrique qui en tire parti»[6]. C’est ainsi que les chars de combat n’ont pas été d’emblée des catalyseurs de changement.
Institution militaire et imagination : une relation fluctuante et ambigüe.
« Une armée est une institution, non seulement conservatrice, mais rétrograde par nature ; une expérience de plus de 2 000 ans nous prouve qu’il y a seulement une chose plus difficile que d’introduire une idée nouvelle dans l’esprit militaire, c’est d’en chasser une vieille. » [7].
Jusqu’au XVIIIe siècle, la fantaisie, attribut aristocratique, est encouragée chez les officiers 8].  Elle va de pair avec une imagination développée. D’ailleurs, les deux termes ont longtemps été synonymes [9]. Cette culture va être dévalorisée à partir du XIXe siècle et disparaître progressivement avec le développement de l’administration militaire et la technicisation des armées. Une certaine culture de l’imagination subsiste cependant dans les armées françaises : le « système D ». Sa persistance a encore été soulignée en 2014, à propos de l’opération Serval, par un analyste de la Rand : « Toute fierté française mise à part, il est vrai que les Français sont bons pour faire plus avec moins […][10]. Depuis quelques années, dans le sillage du monde de l’entreprise, la nécessité d’un esprit imaginatif et créatif est de nouveau mise en avant. Le chef d’état-major des armées (CEMA), lors de son discours d’ouverture de la scolarité de la 22e promotion de l’École de Guerre, n’a pas manqué de le souligner une nouvelle fois: « […], n’oubliez pas que vous travaillez pour ceux qui sont confrontés à la réalité du terrain. Faites preuve d’imagination, d’esprit d’innovation, mais aussi de pragmatisme. »
Cependant, les armées font face à un paradoxe : pour les nécessités de l’action, elles doivent obtenir l’orthodoxie des comportements tactiques tout en encourageant l’imagination et donc l’originalité. Cette rigidité rend parfois difficile l’exercice d’un esprit critique: « Dans notre pays on ne fait pas suffisamment la différence entre "l'idée du chef" et "le chef lui-même". Critiquer l'idée devient immédiatement "mettre en cause le chef". Aux États-Unis par exemple ce mécanisme n'existe pas. On distingue le débat et la contestation du chef. » [11]. De plus, les appels à l’imagination s’expriment dans un contexte difficile. La génération actuelle de cadres a été plus habituée à déconstruire qu’à créer et il existe actuellement une tendance à l’uniformisation de la pensée militaire française avec celle des Etats-Unis. Le retour de la France dans le commandement intégré de l'OTAN en 2009 a beaucoup accéléré ce mouvement.
Par ailleurs, l’utilisation d’une langue autre que la langue maternelle entraîne une baisse de la productivité et freine la créativité [12] de la plupart des officiers d’état-major. Or, les armées françaises font un usage massif de l’anglais, en opérations comme en exercices. Qui plus est, le vocabulaire militaire anglais utilisé est bien souvent abscond. Jean-Philippe Immarigeon explique: « Nous mettons le doigt sur la vraie faille du modèle de guerre américain ; ce n’est pas qu’il a technologisé la guerre, c’est qu’il l’a modélisée et verrouillée. […] Elle se déploie autour et à partir de cette novlangue du management qui est devenue la lingua franca des armées otanisées et qui joue parfaitement son rôle de carcan intellectuel, et empêche de penser out of the box. » [13]. La Comprehensive Operational Planning Directive (COPD), méthode de planification de l’OTAN adoptée par les armées françaises depuis 2013, n’échappe pas à certains aspects de cette lingua franca décrite plus haut.
Enfin, dans le cadre des travaux de réflexion et de préparation de la mission, un outil, massivement utilisé par les armées tant dans la préparation que le conduite des opérations, a également tendance à refreiner l’imagination : Powerpoint. Pour Franck Frommer, « […] la généralisation des bullet points tue paradoxalement un élément qui devrait être au cœur de toute présentation : l’enchaînement logique et la fluidité de l’argumentation» [14]. Ces présentations obligent à avoir une posture publicitaire et simplifient la réalité, notamment par des représentations graphiques abusives. Elles donnent une impression de maîtrise du monde très éloignée des incertitudes de la guerre et ne poussent pas à l’imagination créatrice car elles assènent aux auditeurs une vérité qu’il est difficile de remettre en question.
L’imagination au pouvoir.
« Le seul véritable voyage, le seul bain de Jouvence, ce ne serait pas d’aller vers de nouveaux paysages, mais d’avoir d’autres yeux, de voir l’univers avec les yeux d’un autre, de cent autres, de voir les cent univers que chacun d’eux voit, que chacun d’eux est. » [15].
Face à tous ces freins à l’imagination quelles mesures peuvent être mises en œuvre pour la libérer ?
La formation et l’instruction ont un rôle majeur à jouer. Tout d’abord, pour penser la tactique « en dehors de la boîte », il faut avoir une connaissance complète de ses contours et de ce qu'elle contient. Or, aujourd’hui, la doctrine est méconnue parce qu’elle est insuffisamment enseignée et qu’une certaine paresse intellectuelle pousse les cadres à ne pas la lire. Pour servir de base à la réflexion, il est aussi nécessaire d’acquérir une « bibliothèque intellectuelle » et de se forger ses propres principes tactiques. Cela peut passer par l’enseignement de l'histoire militaire, trop peu dense aujourd’hui dans les écoles militaires, mais aussi par le biais de lectures obligatoires et commentées. Afin de pouvoir plus aisément déployer sa réflexion et son imagination, la maîtrise de la méthode de planification doit être renforcée afin d’être capable de s’en affranchir lorsque cela est nécessaire. L’apprentissage de l’anglais doit être favorisé afin de faciliter la réflexion lorsque son utilisation est inévitable. Enfin, l’acquisition de « méthodes de créativité » pourrait aider à mieux analyser un problème individuellement et surtout collectivement et à y trouver des solutions innovantes.
Au-delà de ces indispensables fondations, être imaginatif en tactique exige de disposer de cinq qualités [16]. à cultiver.
La première est le questionnement. Cette attitude doit permettre de ne pas se contenter de l’habituel et de s’interroger sur le problème tactique tel qu’il est. Elle n’est pas évidente à mettre en œuvre. Notre culture et notre processus éducatif nous poussent en effet à privilégier des approches linéaires et standardisées. François Jullien écrit à ce propos : « Je crois que la façon grecque de concevoir l’efficacité peut se résumer ainsi : pour être efficace, je construis une forme modèle, idéale, dont je fais un plan et que je pose en but, puis je me mets à agir dans ce plan, en fonction de ce but. » [17]. Le concept d’Operational Design nous conduit par exemple à avoir une vision très balistique de l’enchaînement des choses. De plus, notre raisonnement et nos réactions sont sans cesse guidés par des procédures (procédures opérationnelles permanentes, les doctrines, etc.).
La deuxième qualité nécessaire est l’observation d’un œil toujours neuf, afin d’être capable de détecter l’originalité du problème tactique auquel nous faisons face. Or, les nécessités de l’action compartimentent notre perception : « Avant de philosopher, il faut vivre ; et la vie exige que nous nous mettions des œillères, que nous regardions non pas à droite, à gauche ou en arrière, mais droit devant nous dans la direction où nous avons à marcher. ».Tel l’artiste, le tacticien doit cultiver l’innocence de l’œil. Henri Matisse nous explique que cela nécessite un courage « indispensable à l’artiste qui doit voir toutes choses comme s’il les voyait pour la première fois » Il ajoute: « Il faut voir toute la vie comme lorsqu’on était enfant ; et la perte de cette possibilité vous enlève celle de vous exprimer de façon originale, c’est-à-dire personnelle. » [19]. Cette volonté de poser un regard nouveau sur toutes choses doit passer notamment par un usage plus raisonné de Powerpoint.
La troisième est l’esprit d’expérimentation qui pourrait être porté par l’entraînement. Malheureusement, les exercices sont très rarement originaux et mettent bien souvent en œuvre un ennemi générique aux réactions prévisibles. Tout cela conduit à une certaine orthodoxie des modes d’action utilisés. De véritables expérimentations devraient pouvoir y être menées afin d’encourager le développement de nouvelles pratiques qui pourront éventuellement être imposées à tous. Il faudrait pour cela accepter que certains exercices soient "gâchés" par l’essai d’un mode d'action iconoclaste. Il pourrait même être bénéfique d’affecter, par rotation, des unités à des expérimentations tactiques [20].
La quatrième qualité nécessaire est la capacité à associer dans sa réflexion des domaines à priori différents afin de sortir de nos schémas habituels. La réflexion tactique se nourrit aussi de connaissances qui n’ont pas de liens directs avec la tactique.  L’amiral Mike Mullen explique à propos de son expérience d’étudiant dans une école de commerce : « J’ai beaucoup appris là-bas, et l’une de choses que j’ai apprise est qu’il y a toujours des idées ailleurs dont vous ne savez rien. Plus j’ai de l’expérience, plus je recherche ces zones d’opinions diverses pour les incorporer dans ma propre pensée […]. » [21]. Malheureusement les échanges avec les milieux civils ne sont pas suffisamment nombreux et l’implication d’experts civils dans les études doctrinales est trop rare.
Enfin, cinquième qualité essentielle au développement de l’esprit d’imagination tactique, la capacité de réseautage, c’est-à-dire savoir consacrer du temps à la découverte et au test d’idées au travers d’un réseau d’individus. Sa mise en œuvre  nécessite de disposer de lieux d’expression et de débat. Dans le grand « boom intellectuel » militaire français des années 1870-1914, les revues jouèrent un grand rôle. Il en est de même au plus fort des débats sur la contre-insurrection aux Etats-Unis avec le rôle notamment de la Military Review. Aujourd’hui, en France, trop peu de publications ou de blogs permettent un débat de qualité dans les domaines de la tactique et de la doctrine. L’adoption d’une nouvelle doctrine ne fait ainsi quasiment jamais débat. Disposer de lieux d’expression n’est pas suffisant, il faut aussi, au moins une tolérance et au mieux un encouragement de la hiérarchie à l’expression pour permettre de développer des débats, ce qui n’est pas véritablement le cas aujourd’hui.
Conclusion.
« L'imagination est une qualité lorsqu'elle sert, mais un défaut si elle commande. » [22].
Il n’est pas question ici de prôner une imagination tactique irréfléchie. Cela représenterait un danger, celui de la prise de risque inconsidérée ou privilégier la beauté ou l’originalité d’une manœuvre. Mais l’efficacité tactique ne peut être atteinte que grâce à une imagination d’abord débridée avant que ses résultats soient passés au tamis d'une méthode de réflexion.
Ainsi, l’imagination en tactique est un facteur clé de la victoire. Pour être véritablement efficace, elle ne doit pas être restreinte à une faculté individuelle innée qui serait la marque de quelques chefs militaires plus brillants que les autres. Elle doit être institutionnalisée grâce à un enseignement et un entraînement adapté et à un contexte favorable à son développement au sein des armées. C’est d’ailleurs bien le véritable enjeu pour tout chef militaire : obtenir une atmosphère créative au sein du groupe dont il est responsable et y abolir le sentiment que toute critique est une critique du chef.
Références
[1] « Ouverture de la session nationale de l’École de guerre, Allocution du général d’armée Pierre de Villiers », École militaire, 17 septembre 2014.
[2] La Guerre de Juillet, Cahier du RETEX, CDEF, 2006, p.39.
[3] Guy Hubin, Perspectives tactiques, Economica, 2009, p.158.
[4] Carl von Clausewitz, De la guerre, Perrin, 1999, p.74.
[5] Frédéric Jordan, « Imagination dans la guerre : la tactique de l’infiltration allemande », blog L’Echo du champ de bataille, 24 novembre 2011.
[6] Vincent Desportes, La guerre probable, Economica, 2007, p.161.
[7] Basil Liddell Hart, Thoughts on War, Spellmount, 1998, V.
[8] Thomas Flichy, La fantaisie de l’officier, DMM, 2012.
[9] Imagination vient du bas-latin imaginatio, lui-même dérivé du latin plus classique imago (image, vision, songe). Fantaisie vient du latin phantasia et signifiait imagination, rêve, songe. En français les deux mots ont été synonymes jusqu’au XVIIe siècle. Réf : Dictionnaire latin Gaffiot, Grand Larousse de la langue française.
[10] Micheal Shurkin, France’s war in Mali. Lessons for an expeditionary army, Rand, 2014, p.58.
[11] Général V. Desportes cité par P. Servent, Le Complexe de l'autruche, Tempus, 2011, p. 339.
[12] Claude Hagège, Contre la pensée unique, chapitre 2, Odile Jacob, 2013.
[13]  Jean-Philippe Immarigeon, « Du chemin des dames à Kaboul : la même erreur stratégique. », La Guerre technologique en débat, l’Harmattan, 2009, p.131-146.
[14] Franck Frommer, La pensée powerpoint, La Découverte, 2010, p.62.
[15] Marcel Proust, La Prisonnière, Gallimard, 1925, p. 69.
[16]  Nous nous inspirons ici des qualités soulignées dans : Jeffrey Dyer et ali., « The innovator’s DNA », Harvard Business Review, décembre 2009.
[17] François Jullien, Conférence sur l’efficacité, PUF, 2006, p.16.
[18]  Henri Bergson, « La perception du changement », La pensée et le mouvant, PUF, 1975, p.152.
[1] Henri Matisse, propos recueillis par Régine Pernoud, Le Courrier de l’Unesco, vol VI, n°10, octobre 1953 In Écrits et propos sur l’art, Hermann, 1972, p.321.
[19] David Fastabend, « Adapt or die. The imperative for a culture of innovation in the United States Army », Army magazine, février 2004, p.14.
[20] Geoff Colvin, « Adm Mike Mullen: Debt is still bigger threat to US security », Fortune, 21 mai 2012.
[21] Agatha Christie, La mystérieuse affaire de Styles, Editions du Masque, 2012.

6 commentaires:

  1. Merci tout d'abord pour cette analyse que je partage. Beaucoup est dit et je vois dans des "méthodes de créativité" un bon cadre de départ intéressant pour repenser la formation du chef militaire.Quelques observations qui rejoignent vos "qualités nécessaires à l'imagination tactique" :
    - la nécessité de savoir changer de point de vue : "la décision n'est pas seulement le résultat d'un délibération rationnelle ou d'un processus émotionnel unique. Elle peut être complètement modifiée par le point de vue " (La décision, Alain Berthoz, p.75). Il faut s'entraîner à changer de point de vue, il faut même se l'imposer avant de décider. Associer des domaines différents dans la réflexion, soumettre ses idées à d'autres points de vue par le débat y contribuent. Mais je crois qu'il faut faire du changement de point de vue une méthode, un réflexe personnel ;
    - la connaissance des limites de notre rationalité dans la décision du chef, marquée par l'urgence, l'incertitude, l'enjeu, la responsabilité personnelle. Et tout s'en prémunissant, savoir s'en servir pour battre son adversaire. C'est l'étude des erreurs de jugement à cause des biais et de l'usage d'heuristiques constatées dans les recherches de Tversky et Kahnemann ou plus récemment les travaux conduits en psychologie cognitive sur l'importance du modèle causal retenu pour juger de la plausibilité d'une cause à un événement (article "The role of Causality in Judgement Under Uncertainty" Krynski et Tenenbaum, 2007, cité par Stanislas Dehaene dans "la révolution Bayésienne en sciences cognitives", cours du collège de France). Ici, il s'agit d'apprendre à interpréter la réalité d'une situation, sans se laisser tromper par nos modèles de références, et/ou de ne pas adopter une voie de résolution du problème par "imitation", parce que "ça a marché". A la fois pour ne pas être trompé, et pour tromper...Là encore, ça s'apprend et se cultive.Vos trois premières qualités y font référence.

    Enfin si je peux me permettre, il me semble que les deux premières qualités retenues sont assez proches, voire se confondent ?

    Cordialement,

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  2. Article profond avec pleins d'exemples et de réflexions (et surtout pleins d'alinéas de Clausewitz à Agatha Christie...) bravo ''de soulever le casque lourd'' des certitudes militaires.
    L'exemple de la bataille de Bir Hakem et de la réussite de cette ex-filtration vient de l'esprit "FFL" qui régnait dans cette cohorte de volontaires de tous styles, de tous recrutements, de toutes armées et de...toutes races (une unité annamite a été partie prenante, alors que dans l'esprit de beaucoup de coloniaux de l'époque, les "nhaqués" étaient des mauvais combattants...) et puis d'un général (Koenig) quelque peu atypique puisque son chauffeur était une anglaise...
    Peut-on aborder la formation et le recrutement de nos officiers?
    Pour éviter ce jugement qu'on entend souvent: " Anciens d'une grande école qui se la joue car ils ont réussi à l'âge moyen de 20 ans, un concours et qui pensent encore plusieurs années plus tard que cela les rend supérieur à tous les autres '', on pourrait entamer une réflexion sur le cursus de ces futurs chefs . Le Gal de Lattre qui s'y connaissait en homme...avait institué en 1946, un passage obligé en corps de troupe avant d'entrer à St Cyr.

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  3. Bravo, mon colonel!
    Un très beau papier, fouillé, intéressant, et largement documenté.
    Ce qui n'empêche pas qu'il puisse s'appliquer également aux niveaux opératif et stratégique... Au niveau stratégique, l'histoire et la géopolitique sont des données indispensables, trop souvent ignorées des décideurs. Au niveau opératif, il n'est pas possible non plus de s'affranchir de celles-ci.
    Quant à la liberté de penser et de réfléchir que devraient s'octroyer nos "planificateurs", j'en ai vu trop souvent qui se contentaient de se couler dans le moule de la théorie apprise, ou tout simplement de la planification précédente... Attitude confortable, surtout qu'elle ne risque pas de "déplaire au chef", qui en était sûrement l'auteur précédemment... :-)
    Un point m'a toujours intrigué. dans une planification, un groupe est chargé de jouer le rôle de l'ennemi. La conformité est souvent de jouer deux scénarios: le plus dangereux, d'une part, le plus probable, d'autre part... Jamais le plus surprenant, ni le plus hétérodoxe! Pourtant Austerlitz nous apprend que justement, Napoléon choisit ce dernier, au grand dam de Davout, par ailleurs excellent chef d'armée.
    C'est bien là qu'il y a faute grave. En effet jouer l'ennemi permet de remettre en cause ses propres réflexes de pensée, et par itérations successives, de corriger sa propre planification pour essayer de faire face à toute surprise. Si en 1940 nos grands chefs avaient pensé que le mode le plus dangereux, ou le plus hétérodoxe, était de faire passer des divisions blindées par les Ardennes, la débâcle ne se serait sans doute pas produite... C'est d'ailleurs ce qui fera le succès de Leclerc lors de la bataille de Baccara, à l'immense surprise des Allemands.
    J'admire beaucoup le Général de Villiers pour son discours à l'Ecole de Guerre, que vous citez, dans lequel il parle d'officiers iconoclastes! Je l'ai vu discuter en situation avec certains stagiaires lors d'un exercice, et c'est là que l'on s'aperçoit que chez lui, c'est vraiment une façon de penser et de réfléchir, de se comporter. (A se demander comment la DRHAT a pu "oublier" de sabrer une telle attitude... :-) )

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    1. "Au niveau stratégique, l'histoire et la géopolitique sont des données indispensables, trop souvent ignorées des décideurs": je ne suis pas du tout un spécialiste de la "chose militaire", mais vos mots très justes me rappellent cette citation (dont j'ignore l'auteur): "En politique, la mémoire n'existe pas".
      Comme nous en discutions avec l'un de mes amis exerçant dans l'humanitaire et excellent connaisseur du terrain afghan, le problème de la géopolitique, c'est aussi -surtout- qu'à part reprendre précisément l'Histoire, ses praticiens ne font que rarement de la prospective, hormis quelques-uns comme Olivier Roy.

      Bien à vous,

      Jérôme

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  4. Grenadier de la Garde16 juin 2015 à 21:03

    Excellent article que je partage sur de nombreux points, et en particulier sur l'emploi de l'anglais et du powerpoint. Quand on joue la vie des hommes (et la sienne) on doit avoir l'esprit clair et le verbe sûr...Le PPT est anti tactique au possible. J'ai vu des officiers US (et même français...) en user et en abuser...pour des manœuvres qu'un élève gradé du PEG aurait mieux réussi...
    Par contre laisser moi douter de la phrase du début...."Soyez originaux"...Ce genre de discours, tous les chefs le font. Qui ne l'a pas entendu déjà dans la bouche des chefs de tous grades ? C'est une "tarte à la crème" de tous les assistants militaires qui préparent le discours des chefs. Dans la réalité d'aujourd'hui, un original est mort...Il finit adjoint à la ciblerie du camp...Et pour cause. Qui dit original, dit risque. Et cela, ce n'est pas possible dans les conditions actuelles. Tout est verrouillé par Paris qui ne veut pas d'histoires...Avec les moyens de transmission, l'initiative d'un chef est presque réduite à zéro...C'est risque zéro à tous les étages...Et cela peut se comprendre d'une certaine manière. A l'EDG OK, mais surement pas sur le terrain...Faut être réaliste...
    Cela reviendra sans doute un jour quand la patrie sera vraiment menacée et que les majors de promo auront laissé la place après les premières défaites...S'il reste encore de quoi manœuvrer...
    Aujourd'hui, en Syrie, des deux côtés, il doit y avoir des vrais chefs de guerre qui prennent des vrais risques car ils n'ont pas le choix...

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  5. Je reprends " Dans le grand « boom intellectuel » militaire français des années 1870-1914, les revues jouèrent un grand rôle. Il en est de même au plus fort des débats sur la contre-insurrection aux Etats-Unis avec le rôle notamment de la Military Review." Certes ce grand boom a donné un grand flop en 1940, on pourrait se poser la question du pourquoi, dans lequel les penseurs militaires de l'époque ont une certaine responsabilité. Mon commentaire précédent à propos de l'article" Penser autrement, pour une approche critique et créative des affaires militaires. Nouveau cahier de la RDN" est resté bien seul, est-il hors sujet? je le réitère: Penser autrement cela voudrait aussi dire, former différemment, vaste, très vaste chantier. C’est aussi comprendre que penser autrement demande, du courage, de la volonté personnelle, celles de se construire, de se cultiver et d’apprendre, parfois en dehors du cadre stricte du « programme ».Cela passe aussi par la capacité de tirer de sa propre expérience une forme d’ouverture d’esprit et de capacité d’adaptation qui ne sont pas également partagées.
    J’ai croisé au cours de « mes carrières » quelques spécimens de diplômés parfaitement incultes, pétris de leur certitudes et incapables de suivre l’évolution du monde. J’ai croisé aussi quelques autodidactes qui en dépit de quelques lacunes pouvaient aisément penser au moins aussi bien que certains qui compte tenu des places acquises avaient obtenu le droit, à moins que ce ne soit un privilège, de ne plus penser, mais qui avaient cependant l’immense responsabilité de décider… sans penser. J’ai rencontré aussi des diplômées remarquablement intelligents et cultivés mais étonnamment muets et discrets au fur et à mesure de leurs ascension vers les sommets… La maskirovka est l’art du savoir-faire penser à l’adversaire ce que l’on voudrait qu’il pense, cette subtilité ne parait pas évidente, elle nous est d’ailleurs si peu ( évidente) qu’au cours de notre récente histoire militaire, nous avons souvent « pensé » un adversaire en le construisant en fonction de notre potentiel supposé, rarement en fonction de notre potentialité réelle, et pratiquement jamais en raison de sa réalité. Lorsque que l’on taille un ennemi à la mesure de sa faiblesse on est certain que la victoire est au bout du chemin. C’est en gros la caractéristique principale d’un exercice d’état-major, vaincre l’ennemi sous-estimé et sous-dimensionné avec des moyens que l’on est supposé avoir et des capacités qui ne seront jamais les nôtres. Penser mieux, pourquoi pas ? Penser autrement, ce n’est pas gagné car cela relève d’un process bien éloigné de celui qui a fait depuis des siècles la force des armées, la verticalité pyramidale de l’autorité. « Quand j'entends des talons qui claquent, je vois des cerveaux qui se ferment. » Le Maréchal Lyautey un grand soldat à la stature d’un homme d’Etat ne peut être contredit… Y’a du taf pour faire évoluer les esprits à défaut de la pensée comme dirait un bidasse, dont la race a disparu depuis si longtemps. .

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