mercredi 11 septembre 2013

La petite boutique des horreurs

Le 5 février 1994, un obus frappa le marché de la ville de Sarajevo provoquant 68 morts et 144 blessés dans la population civile. Le mélange de mauvaise conscience qui traînait depuis deux ans devant l’accumulation des horreurs et de refus de combattre pour empêcher cela fut mis à mal par le choc des images.

La responsabilité du carnage fut logiquement attribuée aux Bosno-Serbes qui assiégeaient la ville mais très vite la rumeur courut que l’obus était peut-être d’origine bosniaque (ou musulmane pour simplifier). Certains rappelèrent alors à la fois la longue habitude américaine, depuis l’explosion de l’USS Maine en 1898, de disposer d’un évènement scandaleux pour justifier une intervention militaire, quitte à tordre un peu les faits. D’autres mirent en avant la stratégie de victimisation des Bosniaques, quitte à susciter soi-même des victimes lorsque les Serbes, pourtant excellents dans cet exercice, n’en fournissaient pas assez. Le montage odieux était donc effectivement possible et même probable.

Les anti-Américains et les anti-Musulmans s’associèrent à ceux qui refusaient toute engagement militaire pour crier au complot et estimer que frapper les Serbes c’était aider les Musulmans (forcément intégristes). Entre empêcher la continuation des multiples petits massacres (et de la mort de nos soldats) et aider à la constitution d’un califat, il était donc urgent de ne rien faire.

Or, les Américains, après avoir longtemps tergiversé, étaient décidés à agir autrement que par l’aide plus ou moins discrète qu’ils accordaient aux Bosniaques, au mépris de l’embargo. Sentant venir les frappes aériennes punitives, la Russie, très proche alliée des Serbes s’activa. Un représentant spécial fut nommé et il fut proposé de mettre les armes lourdes des Serbes sous contrôle des Nations-Unis. L’idée plut beaucoup car elle permettait de faire semblant d’agir sans prendre de risque. Neufs centre de regroupements des chars et de l’artillerie furent constitués autour de Sarajevo sous la bonne garde des Casques bleus de la FORPRONU. La paix était sauvée.

En réalité, les Serbes, qui étaient loin d’avoir tout fourni, purent reprendre le bombardement de la ville quand ils le voulurent, tout en disposant désormais de près de 367 otages casques bleus (dont 174 Français) au milieu de leurs lignes. Pour les protéger, on fut donc obligé de créer une force nouvelle, la force de réaction rapide. En juillet 1995, les Serbes massacrèrent entre 6 000 et 8 000 Musulmans à Srebrenica. Le 28 août 1995, des obus frappaient à nouveau le marché de Markalé tuant 37 civils et en blessant 90 autres. Il ne fut plus possible cette fois d’éviter l’intervention armée qui prit la forme de frappes aériennes, de tirs de missiles de croisière et de tirs d’artillerie de la force de réaction franco-britannique. Dès le 13 septembre, les Serbes acceptaient de déposer les armes avant de signer deux mois plus tard les accords de Dayton mettant officiellement fin à la guerre. Les massacres ont cessé dès que l'on a cessé d'être lâches et il n’y a toujours pas de califat en Bosnie. 

6 commentaires:

  1. L'analogie historique est séduisante... Toutefois, il faut quand même se méfier de ce procédé qui peut se tordre pour prouver tout et son contraire. Ainsi sur le cas de la Bosnie en 1995 :

    1) Il est aujourd'hui avéré que ce sont les Bosniaques qui ont tiré sur leur propre population et que les gouvernants de l'époque le savaient. Ils ont choisi de mentir pour pouvoir agir (comme en Irak plus tard).

    2) Enlever leurs armes lourdes aux Serbes revenait à les priver de leur outil de supériorité stratégique qui pouvait leur permettre de l'emporter et les réduisait à la quasi incapacité de combattre puissamment. Enlever ses armes chimiques au régime syrien revient certes à lui enlever un outil de supériorité mais sans le priver de ses autres outils de supériorité que sont les chars, les avions, les missiles. La réduction de puissance n'est pas la même et le régime syrien conserve ses chances de victoire (malgré les médias français qui prédisent sa chute imminente depuis 3 ans). Contrairement aux Serbes, Bachar n'est donc pas dans les cordes et peut accéder aux demandes internationales de mise sous tutelle de son armement chimique sans remettre en cause son combat. La différence est de taille...

    3) La Bosnie n'est effectivement pas un califat. Mais entre les combattants musulmans de 1995 en ex-Yougoslavie et les combattants rebelles en Syrie, le visage de l'islam combattant a évolué : Irak, Tchétchénie, Somalie, World Trade Center, Bali, Bombay, Nahr el Bared, USS Cole, Mali, etc, etc, etc
    Le combat islamiste s'est fortement développé (volume, espace) et les djihadistes comptent dans leurs rangs des vétérans de nombreuses guerres. S'il était hypothétique en Bosnie (malgré la construction d'une multitude de mosquées depuis 1995, et l'apparition de beaucoup de femmes voilées, souvent salariées pour simplement porter le voile), le risque de charia et de persécution des autres minorités religieuse est plus que certain en Syrie. Il suffit de regarder le sort des chrétiens d'Egypte et d'Irak pour s'en rendre compte.

    4) En 1995, l'Europe ne pouvait ignorer un conflit sur son sol et la France en particulier ne pouvait rester inactive alors que ses soldats étaient présents entre les belligérants depuis 1991. Lorsque surviennent les événements de 1995, la France est déjà un acteur impliqué militairement (avec des règles d'engagement aberrantes). Ce n'est pas le cas en Syrie.

    Voilà. Avec un peu plus de réflexion, je suis sûr que cette liste pourrait être approfondie.

    Pour qu'une guerre soit juste, St Thomas d'Aquin a posé (entre autre) le fait que la situation issue du conflit soit objectivement meilleure que la situation précédente pour le plus grand nombre. Cette vision a fondé en partie le droit international humanitaire et l'approche des conflits que peut avoir l'ONU. Reste à savoir si la prise du pouvoir par les rebelles syriens améliorera les choses...

    Refuser la guerre n'est pas qu'une question de lâcheté. Y aller n'est pas qu'une question de courage.

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    1. je vous remercie pour cette excellente mise au point, Anonyme du 12 septembre 2013 00:36. Vous m'évitez de l'écrire moi-même.

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    2. Sans oborder les autres points, je pense que votre numéro 2 est inadapté.

      Comme l'auteur le fait remarquer, ce n'est pas la confisquation des armes lourdes qui a fait plier les serbes puisqu'ils s'y sont largement soustrait, c'est l'engagement militaire.

      L'analogie avec la syrie est donc correcte, une sequestre réelle ou supposée de l'armement chimique syrien ne changera rien au rapport de forces local et n'empechera personne de continuer la guerre.

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    3. @Anonyme12 septembre 2013 03:33
      C'est exactement ce que je dis dans mon post du 12 septembre 2013 00:36. Le régime syrien n'a pas besoin de se soustraire à la livraison de ses armes chimiques puisque leur disparition ne le privera pas de sa supérioté dans le rapport de force et de sa capacité à vaincre.
      La comparaison entre la situation serbe et la situation syrienne trouve donc une limite dans ce constat.

      PS : j'ai trouvé comment mettre un nom ;-)

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    4. "L'analogie historique est séduisante... Toutefois, il faut quand même se méfier de ce procédé qui peut se tordre pour prouver tout et son contraire" , très belle est juste phrase ,encore faut il se l'appliquer :
      _ le mot " avéré " n'engage que vous ,possible aurait été plus exact ,et cela n’enlève pas le fait que les nationalistes serbe ont tiré un peu trop sur la corde .
      _on ne les a pas privé de tout , et les bosniaques n'avait pas une armée comparable a leur opposés .
      _l'arme chimique ne change pas le rapport de force ,mais alors pourquoi s'en servir , quand on a une puissante aviation et une puissante armée de terre ? peut être , que même avec le colosse Russe et l’appui des supplétifs de l’Iran ( pardon le hezbollah , je simplifie moi aussi )on n'arrive pas a rétablir l'ordre dans la banlieue de sa capitale depuis deux ans et qu'on ne sait pas si on pourrait supporter 3 jours de frappe sur ses points sensibles ( la je suis d'accord avec vous les armes chimiques ont bon dos ), la Russie est bien incapable de stopper une offensive us à l’extérieur de ses frontières .
      _enfin,qui a dit en occident qu'on voulait la victoire d’intégriste ,et si l'on prend exemple sur l’Égypte ou la Tunisie , la charia rencontre quand même une grande résistance .On aime bien dire que les pays musulmans n’évoluent pas ,bien sur que cela serait mieux dans la joie et la fraternité comme nous l'avons nous même fait dans notre histoire (ils pourraient prendre exemple sur nous ) ; mais maintenant il est trop tard ,ces peuples sont face à face , et garder des Assad ou des Kadhafi ne fait que repousser une échéance , alors ils nous restent à accompagner quand même un peu le mouvement ,car cela se passe pas si loin que ça .
      "Refuser la guerre n'est pas qu'une question de lâcheté. Y aller n'est pas qu'une question de courage",mais ne pas choisir et fermer les yeux n'est guère plus glorieux et encore moins productif .

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  2. Il est toujours difficile de s'exprimer sur un sujet lorsqu'on n'est pas un Homme libre mais un Prisonnier.

    Le courage peut s'exprimer de différentes manières, pas seulement dans un cadre militaire ; le vrai courage peut même être interprété comme étant précisément de sortir de ce cadre (Hélie de Sain-Marc).

    Après avoir lu ce billet, comme aurait dit un grand penseur (sans ironie) de l'Ecole militaire après le décès de l'avocat du diable, Me Vergès : "je vais reprendre un deuxième croissant", mais cette fois-ci en n'oubliant pas l'origine attribuée aux croissants et leur symbole : la célébration de la victoire des Européens contre le colonisateur et l'envahisseur musulman turco-mongol.

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