dimanche 8 septembre 2013

La France en Syrie-par Julie d'Andurain

Général Gouraud
Pourquoi la France s’est installée en Syrie entre 1919 et 1946 ? Quels étaient les raisons qui la poussèrent à lier son destin à un État qui n’existait pas encore, dont elle façonna les contours, les découpages intérieurs et le système administratif ?

La décision de s’installer en Syrie à l’issue de la Grande Guerre procède initialement de l’expédition de 1860 – première expédition humanitaire de l’Histoire – qui avait rappelé aux Français qu’ils étaient les protecteurs des chrétiens d’Orient en vertu des traités de Capitulations accordés à François 1er en 1535, confirmés en 1569. En jetant les bases juridiques de la présence française en Orient, les Capitulations avaient en effet ouvert une brèche dans la souveraineté du sultan ottoman en laissant la possibilité aux consuls étrangers de protéger leurs ressortissants (via les tribunaux mixtes). Au cours du XIXe siècle, sur fond d’impérialisme européen, les Capitulations deviennent un moyen pour toutes les nations européennes de grignoter les prérogatives de « l’homme malade de l’Europe ». En 1860, un corps expéditionnaire français dirigé par le général Beaufort d’Hauptoul est envoyé en Syrie pour protéger les maronites massacrés par les druses (et réciproquement). La présence française permet d’imposer à la Porte un « protocole et règlements relatifs à l’administration du Liban » établissant le régime de la Moutassarifiya, c'est-à-dire un régime consacrant à la fois le confessionnalisme libanais et son autonomie (juin 1861). Dès lors les liens entre les Libanais et les Français - à travers les missions catholiques et les « œuvres » - ne vont pas cesser de se renforcer au point d’attirer l’attention du « parti colonial » français sur l’ensemble de la zone.

Au début du XXe siècle, l’achèvement de la conquête de l’Afrique pose la question des territoires africains appartenant à la Porte et bientôt celle d’une partie de ses territoires asiatiques. Le troc Egypte-Maroc de 1904 prouve si besoin était que la Porte n’a plus son mot à dire sur l’Egypte, mais autorise bientôt les Italiens à réclamer la Tripolitaine. Dès lors les pressions sur l’Asie se font plus fortes, d’abord en posant la question de Palestine puis celle de la Syrie toute entière. À partir de 1912, les demandes françaises deviennent précises : le « parti colonial » réclame une « Syrie intégrale », c'est-à-dire une Syrie littorale (Cilicie et Liban chrétiens) qui intègre la Palestine (car l’influence chrétienne ne doit pas disparaître à Jérusalem). Il s’oppose au lobby colonial anglais qui réclame, outre l’Egypte, la Palestine afin de protéger le canal de Suez sur son flanc droit et son flanc gauche.  Tout en  accélérant le processus de décomposition de l’Empire ottoman, la Grande Guerre fait émerger des forces concurrentes (sionistes, nationalistes turcs, nationalistes arabes, famille Hachémite) avec lesquels il faut compter. En 1916, les accords Sykes-Picot tentent de concilier des demandes inconciliables tout en faisant la part belle aux concurrents les plus anciens et les plus puissants : la France et l’Angleterre. Il est admis que la France obtiendra un mandat sur la Syrie (laquelle devra inclure le Liban), l’Angleterre un mandat sur la Mésopotamie.

En 1919, alors même que les négociations de la Paix sont en cours à Versailles, le général Gouraud est nommé Haut-Commissaire en Syrie. Il a pour mission de « pacifier » un territoire soumis à une double pression : celle de Fayçal au sud et à Damas ; celle de Mustapha Kemal au Nord ; il doit aussi accompagner le territoire vers l’indépendance tout en construisant son système administratif. Entre 1919 et 1923, alors même que l’état de guerre prévaut en Syrie, les contours définitifs de la Syrie sont déterminés (le Liban lui est soustrait ; une partie de la Cilicie lui échappe), Damas est choisie comme capitale d’un système fédéral qui entérine définitivement le confessionnalisme des populations. Cependant, la révolte druse de 1925 marque un coup d’arrêt à l’égard d’une politique qui se voulait libérale. Elle impose la mise en  place d’un système d’administration directe ne permettant guère de différencier désormais le mandat syrien d’un protectorat. Si cette révolte marque aussi l’abandon d’un Haut-commissariat militaire, l’ère des diplomates (Henri de Jouvenel, Henri Ponsot, Damien de Martel) qui lui succède ne permet pas de résoudre les problèmes politiques du territoire. Attaqué de toute part par les revendications nationalistes, le système colonial paraît bloqué. D’arrangements peu satisfaisants en rendez-vous manqués (le projet de traité franco-syrien de 1936), les relations entre les Français et les nationalistes syriens – de mieux en mieux formés et conscients de leur force – ne cessent de se dégrader. Il faut en passer par une autre guerre pour trancher le nœud gordien et entériner la séparation entre la France et la Syrie (1946), qui avait été entrevue dès juin 1941 par le général Catroux. En avril 1946, les troupes françaises évacuent la Syrie après avoir renoncé également à leur ancrage libanais (1943).

Si on compte la période de la guerre qui avait permis d’installer le premier haut-commissaire  français (Georges-Picot en 1917), la France est donc restée près de 30 ans en Syrie. Cela n’est pas rien d’autant qu’on oublie souvent aujourd’hui qu’elle a créé toutes les structures administratives du pays, que le système politique syrien a été initialement calqué sur la France et que l’armée syrienne doit beaucoup à l’armée française qui lui a autrefois servi de modèle. Ces liens sont certes rompus aujourd’hui et il y aurait beau jeu à vouloir établir des comparaisons, mais l’héritage est une force dont on peut savoir se servir au profit des populations.

 Julie d’Andurain
            Agrégée et docteur en histoire, chargée de cours à Paris-Sorbonne et adjointe au chef du Bureau Recherche CDEF/DREX

1 commentaire:

  1. En général, l'héritage d'une présence coloniale dans un pays arabe se manifeste davantage dans les élites qui gouvernent par la suite le pays libéré. Avec la Syrie, l'impression est que, pour diverses raisons, cet héritage a été gommé de ce côté, ainsi que de celui du peuple. Qui en France, à part quelques universitaires passionnés, s'intéressait à cette histoire ? L'éventualité imminente (?) d'une intervention militaire ne pose pas du tout le problème actuel en ces termes - ce qui est certainement dommage.

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