vendredi 1 février 2013

Obama et Bamako-L’implication discrète mais croissante des Etats-Unis en Afrique-par Maya Kandel


L’Afrique subsaharienne est longtemps restée absente, ou bonne dernière, des priorités stratégiques américaines. Il faut attendre les attentats de 1998 contre les ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie, puis surtout les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, pour voir l’Afrique figurer parmi les intérêts américains en devenant un front de la « guerre globale contre la terreur ». Cette évolution est entérinée en 2007 avec la création d’un commandement militaire pour l’Afrique, pour la première fois dans l’histoire américaine, AFRICOM.

Le positionnement militaire américain en Afrique repose sur la coopération avec les pays partenaires (la quasi-totalité des Etats africains), à travers des programmes régionaux et des accords bilatéraux. L’objectif principal est d’aider les armées locales à développer leurs capacités. Les effectifs américains déployés en Afrique représentent environ 5000 hommes, avec des variations en fonction des opérations en cours. L’essentiel de ces moyens est déployé à Djibouti sur la base de Camp Lemonnier (2500 hommes), également la principale base de drones américains (il en existe aussi aux Seychelles et en Ethiopie ; d’autres bases plus « classiques » pourraient accueillir des drones dans l’avenir). Mais le continent africain est également parsemé de « mini-bases » que l’on retrouve dans un grand nombre d’Etats africains, en particulier dans la zone qui va du Golfe de Guinée à la Corne de l’Afrique. Emblématiques du changement d’époque, d’adversaire et de conflit que nous vivons actuellement, elles se résument le plus souvent à un hangar quelconque, une poignée de soldats et quelques petits avions de tourisme truffés d’électronique. Le Pentagone a baptisé ces nouveaux avant-postes de la présence américaine globale de « lily-pads », nénuphars – un doux nom qui en dit long, si l’on songe qu’en général, quand il y a des nénuphars, il y en a beaucoup et ils finissent par tout recouvrir.

La mission principale du Pentagone en Afrique est la lutte contre les groupes terroristes islamistes de la Corne de l’Afrique (Somalie) et de la péninsule arabique (Yemen), à travers deux types d’actions : formation et entraînement des forces africaines locales et actions directes des forces américaines par l’emploi des drones armés et des forces spéciales. Le Sahel est également un enjeu depuis 2002 : le Trans-Sahara Counter-Terrorism Partnership, sous la bannière de l’opération Enduring Freedom, vise à combattre et défaire les organisations terroristes opérant au Maghreb et au Sahel, en partenariat avec une dizaine de pays de la région (Mali, Tchad, Niger, Mauritanie, Algérie, Burkina Faso, Maroc, Nigeria, Sénégal, Tunisie), pour un budget annuel d’environ 100 millions de dollars ; le Mali constituait jusqu’en 2012 une pièce maîtresse de ce dispositif. Par ailleurs, le programme américain IMET (International Military Education and Training) forme les militaires des pays partenaires dans les académies américaines : le Mali en a bénéficié, y compris l’auteur du coup d’Etat de l’an passé, le Capitaine Amadou Sanogo, fait abondamment relevé dans les médias.

Washington est l’un des plus importants donateurs d’aide bilatérale au Mali, notamment (mais pas seulement) militaire, assistance interrompue depuis le coup d’Etat de mars 2012 en vertu d’une loi du Congrès (247 millions de dollars d’assistance bilatérale américaine au Mali suspendus, 119 millions d’aide humanitaire versés). Officiellement toute assistance militaire américaine à Bamako a cessé depuis. Mais pendant l’été 2012, un accident sur le fleuve Niger a provoqué la mort de trois militaires américains, au profil très « forces spéciales » et dont la présence au Mali n’a pas réellement été expliquée par Washington. Toujours pendant l’été, une frappe (de drones ?) aurait provoqué la mort de plusieurs djihadistes dans le nord du pays. Une réunion « secrète » a d’ailleurs eu lieu à la Maison Blanche à l’automne 2012 pour envisager des frappes contre AQMI au nord Mali, alors qu’au même moment Susan Rice qualifiait de « crap » (« foutaises ») les propositions françaises pour le Mali à l’ONU.

Au début de l’opération Serval (François Hollande a informé Barack Obama la veille du début des opérations), le soutien américain a d’abord été qualifié de « minimal » des deux côtés. Certes, le secrétaire à la Défense d’alors, Leon Panetta, a fermement déclaré dès le début de l’opération française qu’il était « de la responsabilité américaine de soutenir la France dans sa lutte contre les islamistes ». Et au Congrès, plusieurs voix, notamment républicaines et non des moindres (en l’occurrence les présidents des puissantes commissions du renseignement et des affaires étrangères), se sont élevées pour appeler à un soutien plus ferme de la France et condamner l’attitude jugée trop timorée de la Maison Blanche. Mais le frein est venu de la Maison Blanche avec en particulier l’interdiction faite à Panetta de faire escale à Paris en janvier, alors même qu’il était en tournée en Europe, de peur que ce passage ne soit interprété comme un soutien américain trop appuyé à la France. Au-delà de l’argument légal mis en avant par le département d’Etat (en raison du gouvernement non légitime à Bamako car issu d’un coup d’Etat), la réticence américaine est celle du président Obama, qui n’entend pas engager militairement l’Amérique dans un nouveau conflit, alors que le retrait d’Afghanistan est à peine engagé (plus de 60 000 soldats américains sont encore sur place) et que le président a déclaré avec force lors de son discours d’inauguration en janvier 2013 « qu’une décennie de guerre allait prendre fin ».

Le faux-pas de la non-visite de Panetta a été réparé par le vice-président Joe Biden, venu le 3 février à Paris féliciter le président Hollande pour son « action décisive » au Mali, et réaffirmer le soutien de Washington à l’opération Serval (ravitailleurs, carburant, avions espion, renseignement). Depuis, le nouveau secrétaire d’Etat John Kerry s’est également rendu deux fois à Paris pour évoquer, entre autres sujets, la question du Mali. Entre-temps aussi, la prise d’otages d’In Amenas en Algérie a conduit à une réévaluation de la menace d’AQMI outre-Atlantique, et les auditions se sont multipliées au Congrès sur les questions de sécurité africaine. L’ex-secrétaire d’Etat Hillary Clinton a ainsi déclaré aux sénateurs américains qu’il « devenait nécessaire d’accorder beaucoup plus d’attention à AFRICOM et aux capacités en Afrique ».

Il est évident que Français et Américains ont des objectifs communs objectifs au Mali et au Sahel. Derrière le flottement initial, il faut surtout voir le souci américain de ne pas apparaître au grand jour comme un « cobelligérant » dans le conflit malien. Le soutien des Etats-Unis à la France n’en est pas moins conséquent, en particulier dans le domaine du renseignement avec la mise à disposition de drones non armés (Reapers) opérés depuis la nouvelle base américaine installée au Niger ; les installations américaines au Burkina Faso jouant très certainement aussi un rôle actif. Les Américains étant avant tout des gens très pragmatiques, ils cherchent maintenant à juger de l’efficacité de la « French way of war » combinée à leur propre préférence actuelle pour une approche indirecte, minimisant la présence américaine sur place, d’une crise qui les concerne aussi. En ce sens, le conflit malien ouvre de nouvelles voies de coopération franco-américaine.

Vous pouvez suivre Maya Kandel sur Twitter : mayakandel_

Sources :
Lauren Ploch, Africa Command: U.S. Strategic Interests and the Role of the U.S. Military in Africa, Congressional Research Service (CRS), July 2011.
Lauren Ploch, Countering Terrorism in East Africa: The U.S. Response, Congressional Research Service (CRS), Novembre 2010.
Alexis Arieff, Crisis in Mali, Congressional Research Service (CRS), January 2013.
Craig Whitlock, “U.S. expands secret intelligence operations in Africa”, The Washington Post, June 14, 2012 et Craig Whitlock, “Mysterious fatal crash offers rare look at U.S. commando presence in Mali”, The Washington Post, July 9, 2012.
Greg Miller and Craig Whitlock, “White House secret meetings examine al-Qaeda threat in North Africa”, The Washington Post, October 01, 2012.
Adam Entous, Julian E. Barnes, Drew Hishaw, “Mali Exposes Flaws in West's Security Plans”, The Wall Street Journal, January 23, 2013.
David E. Sanger, Confront and Conceal: Obama’s Secret Wars and Surprising Use of American Power, New York: Crown Publishers, 2012.
Steven Erlanger, “The French Way of War”, The New York Times, January 19, 2013.

7 commentaires:

  1. Moralement on peut comprendre l'embarras d'Obama qui est un pur afro-américain à apporter de l'aide à une ancienne puissance coloniale, cela, ajouté à la méconnaissance qu'ont les américains de l'Afrique, qu'il s'agisse des mentalités ou du terrain et de ses contingences, constitue un handicap grave. Il est fort peu probable que les Etats-Unis fassent quoi que ce soit de valables sur le continent africain durant les 4 prochaines années.

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  3. Je ne pense pas que les racines Africaines d'Obama ( n'a guère connu son père ), elles soient pour beaucoup dans sa position vis à vis de notre intervention militaire au Mali. Je voie plus à cela deux raisons, une de fond et une circonstancielle.

    Les gouvernants Américains, tant Républicains que Démocrates, ont toujours été critiques et voir souvent hostiles au colonialisme et néo colonialisme Français. Cela au nom de valeurs morales et politiques parfaitement respectables, mais qui se mariaient très bien avec leurs propres intérêts économiques et géo-stratégiques.

    L'echec de leur tentative de restructuration-modernisation de l'armée Malienne, opération qui s'est déroulée pendant tout le précédent mandat Présidentiel de Obama. Elle a couté fort cher et pour le résultat que l'on sait, dans les autres pays ou elle était conduite conjointement ce n'est pas non plus très probant. Que la France réussisse avec une stratégie différente et bien de moins de moyens notamment financiers, là ou ont échoué Pentagone, CIA et autres agences US. Cela ne doit guère ravir celles-ci, ainsi que les autres administrations et congrès Américains.

    Anonyme, par contre je partage totalement votre opinion sur la méconnaissance qu'ont les Etats-Unis de l'Afrique. Certes ils savent et sauront y recueillir une masse de renseignements par voie satellitaire et aérienne : entre autre avec leurs Pilatus basés dans plusieurs pays. Mais pour en tirer la quintessence, il faut pouvoir-savoir les contextualiser.

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    1. Sur la stratégie anti-française conduite par une fraction de l'administration et de certaines "ONG" américaines en Afrique, je vous renvoie au livre de Péan intitulé Carnages. La position de Mme Rice sur le Mali est en tout cas conforme à ce que l'auteur explique du positionnement de celle-ci dans les affaires d'Afrique équatoriale.

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  4. Ce que j'entends par pur Afro américain , ce n'est pas tant que le père d'Obama soit kenyan... quoi que...mais plutôt qu'il a baigné (son épouse également), durant sa formation universitaire, comme toute sa génération, dans les Black studies. Je schématise mais d'un point de vue historique, il s'agit de ré-écritures mettant en avant une Afrique ancestrale magnifiée pervertie par les colonisateurs. Même si Obama n'apparait pas comme un dogmatique, il ne peut être tout à fait neutre.
    Ce facteur s'ajoute aux autres que vous citez, mais il ne doit être minoré.
    Pour le reste je suis d'accord avec vous

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  5. Ce n'est pas la première fois que déclarations malencontreuses, des gesticulations maladroites conduisent des adversaires à faire des erreurs d'appréciation qui conduisent à des conflits. Les Américains n'en sont pas exempts loin de là (guerre de Corée...), nous non plus. Dans cette affaire malienne une chose frappe avec les multiples déclarations françaises visant à dire que nous n'engagerions pas de troupes combattantes et que c'était d'abord l'affaire des troupes africaines avec notre appui et celui de l'Europe. Certains de nos adversaires ont alors pensé qu'ils avaient une fenêtre d'opportunité pour agir avant que le dispositif prévu se mette en place : d'où la tentative que l'on sait et les résultats actuels. Je doute que derrière tout cela il y avait une manoeuvre maligne des Français pour faire sortir le loup du bois : on a été contraint de réagir. J'espère, sans trop y croire, que la leçon sera retenue. Il y a d'autres théâtres où de mauvaises surprises peuvent encore se produire.Les USA proclament à corps et à cri que l'Asie a pour eux plus d'importance, que leur gaz de schiste va les rendre moins dépendants du Moyen Orient et qu'ils y ont moins d'intérêt. Espérons que dans le Golfe Persique, certains ne fassent pas à leur tour des erreurs d'analyse et se lancent dans des aventures. De leur plein gré ou pas, les Américains interviendraient : ils n'auraient pas le choix, comme nous au Mali.

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  6. Gardons nous de sous estimer les capacités américaines en Afrique.Les cables diplomatiques des ambassades US révélés par Wikileaks montrent une connaissance en profondeur de la politique locale africaine y compris en Afrique francophone.Il faut dire que les organes américains de renseignement ouvert ou fermé puisent dans le vivier des jeunes volontaires du Peace Corps qui vivent sur le terrain et apprennent les langues locales.Un seul exemple:il y a énormément plus d'Américains qui parlent le peulh par rapport aux Français ccopérants .Certes actuellement le Peace Corps a suspendu ses programmes au Mali et au Niger mais a plus de 200 volontaires dans chacun de pays limitrophes comme le Sénégal et le Burkina,le plus souvent en brousse.Un seul probléme:les anciens du Peace Corps sont plus attirés par la carriére diplomatique ou la CIA que par l'armée.

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