dimanche 27 mai 2012

Assaut-2


Mon plan initial ne tient plus et je dois réagir immédiatement. Nous allons tous franchir les barbelés en face de nous, à 90 degrés de ceux qui ont arrêté le premier groupe. Après le franchissement, le poste sera à notre gauche, on pivotera et au lieu de nous emparer simultanément des trois points, on les nettoiera  successivement en commençant par le poste de sécurité à l’Est.

Je m’élance en direction de la rivière Miljaca suivi par le deuxième groupe, tandis que les autres marsouins se déchaînent contre Prisunic, Mammouth et Center, les trois nids à snipers bosno-serbes. A ma gauche, le caporal-chef Dannat, l’infirmier, s’effondre, le poumon perforé. Il se relève et marche vers l’arrière en croisant les regards des marsouins qui avancent, hypnotisés par les bulles de sang qu’il vomit. Quelques mètres plus loin, c’est le marsouin Djaouti qui tombe à ma droite. Je crois qu’il s’est emmêlé les pieds dans les barbelés alors qu’il a été frappé par une balle. Je suis maintenant face aux barbelés et je bats mon record personnel de saut en hauteur, malgré les douze kilos du gilet pare-balles, mon armement et mon inutile poste radio PP39. Heureusement les marsouins qui me suivent sont dans la même forme.

Nous nous regroupons au delà des barbelés, au milieu de croisillons métalliques et puis nous obliquons vers la gauche en direction du poste. Il pleut alors des balles comme à Gravelotte. Mon cerveau est comme la focale d’un appareil photo. Je suis actuellement en mode « panorama » alors que je m’avance vers le merlon de terre qui protège l’entrée du poste. Je ressens le besoin d’ouvrir le feu mais mon Famas refuse obstinément de fonctionner. Je pense un instant à m’arrêter. Je réalise immédiatement que si je m’arrête, tout le monde risque de s’arrêter alors je continue. A aucun moment il ne me vient à l’esprit que j’ai peut-être simplement oublié d’armer mon Famas. A coté de moi, Dupuch  s’arrête net : « je suis touché… ». Il s’observe pendant une seconde « non … c’est bon ! » et repart. Il a vraiment été touché mais la balle a traversé la gourde accrochée au ceinturon avant de se loger dans sa lampe torche rangée dans sa poche de pantalon.

Nous nous entassons sur le monticule de terre face à la porte d’entrée. Il y a quelques secondes, je fonctionnais en panoramique, maintenant plus rien n’existe hormis l’espace dans lequel je lance la grenade que me tend Dupuch. Je fais comme à l’instruction. Je dégoupille, laisse filer la cuillère. Je lance au travers du barbelé. Explosion. Je compte « Un, deux, trois » et je me lance baïonnette en avant, bien décidé à embrocher le premier Serbe qui se présentera dans le couloir. Les hommes sont collés à moi, deux par deux. Nous sommes à peine une dizaine, le tiers de l’effectif de départ. Un geste et Dupuch se lance dans le poste de garde Est, pendant que Llorente lance une grenade dans le couloir des WC. Le caporal-chef Jego et son binôme, Humblot, suivent. Je les envoie sur le toit pour interdire tout renforcement ennemi. Le premier objectif nettoyé, nous poursuivons vers la zone vie avec sa cuisine, les douches et les chambres. Delcourt s’avance dans le hall cuisine. Une rafale assourdissante claque. Comme prévu, des Serbes sont là. Delcourt recule. Je prends une grenade au capitaine Lecointre qui me suit et la lance derrière le rideau de la zone vie. Explosion. Lorsque je surgis devant la salle à manger, je vois soudain un rideau de feu monter le long du mur du fond puis passer au dessus de moi. Je hurle : « la bonbonne de gaz ! ». Dupuch et Delcourt reculent précipitamment. Une fraction de seconde plus tard, j’entends une énorme explosion et je vois distinctement sur fond de flammes, un petit objet foncer vers moi comme dans une séquence de film au ralenti. Je prends un choc terrible à l’œil gauche et je suis projeté en arrière alors qu’un jet de sang part dans la direction opposée. A moitié aveugle, je soulève ce qui semble obstruer mon œil ; c’est en fait ma paupière. Je vois subitement tout au travers d’un filtre orangé mais je réalise que l’œil n’est pas crevé. Les hommes me regardent en hésitant et je baragouine ce que je crois être des ordres pour les empêcher de s’arrêter. J’ai encore le temps de dire au capitaine que je ne me sens pas bien avant de m’effondrer.
(à suivre)

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