dimanche 29 mai 2016

Les jolies manières

L’une des plus fascinantes innovations sociales de l’histoire est française, elle s’appelle la galanterie. Cette nouvelle manière d’établir les rapports entre les hommes et les femmes, progressant de la chevalerie courtoise jusqu’à Proust en passant par les cours royales et les salons parisiens, s’est étendue par imitation et imprégnation dans l’ensemble de la société française. Les « jolies manières » faisaient alors une réputation particulière à la France, « pays des femmes » selon Hume au XVIIIe siècle. Cela n’empêchait pas, à l’instar d’un Cyrano de Bergerac, cette société étonnamment respectueuse des femmes d’arborer aussi et avec la même force les vertus jugées viriles du courage physique. Mieux, on parvenait à enrober les deux du même « esprit » et de la même classe. Avec la retenue et l’élégance, il devenait possible de parler librement d’amour et les jeux de la séduction pouvait se déployer. Surtout, quand l’homme s'est contrôlé la femme a pu apparaître, à la cour d’abord et donc dans la politique, avec François Ier puis surtout Louis XIV, puis également dans la pensée des Lumières, la littérature, la science, la vie publique sous toutes ses formes en fait. Quand le mâle se contient et que tout le monde le sait, nul besoin de cacher et cloîtrer les femmes pour les protéger, nul besoin de la menace du tribunal. La galanterie et la courtoisie d’une manière générale sont dans les rapports entre les hommes et les femmes, ce que la confiance est à l’économie, un composant invisible mais nécessaire au fonctionnement harmonieux et même intéressant d’une société.

Alors bien sûr, la galanterie, outre qu’elle représente un idéal qui n’a pas jamais été, loin de là atteint par tous, n’a pas empêché le pays qui l’a vu naître d’accorder le droit de vote dix ans après les femmes turques, de les maintenir dans un rôle second dans les instances directes de pouvoir ou de sujétion administrative. Il serait hasardeux de croire qu’il y a un lien entre les deux. Il serait dangereux aussi de penser que la fin de la galanterie, vécue parfois comme une (nouvelle) manière sournoise de piéger les femmes, permettrait plus de liberté ou de pouvoir. J’aurais plutôt tendance à croire qu’un petit retour aux jolies manières et au respect, sans même parler de choses incroyables comme l’honneur, ferait un peu de bien à toute notre société, à notre classe dirigeante en premier mais pas seulement, loin s'en faut. Dans le cochon tout n’est pas bon et le comportement minable de certains de nos représentants comme celui que l'on peut observer dans certaines rues ne m’inspire que le dégoût (et je ne parle ici que de l'attitude vis-à-vis des femmes). Je rêve, comme le regretté Bernard Maris, que n'importe quelle femme française puisse lancer « et la galanterie alors !? » au moindre petit écart. 

La fréquence du minable dépasse désormais le seuil des cas isolés. Il y a donc urgence mais j’avoue que je ne sais pas comment faire. Je n'aime pas les plaintes, à tous les sens du terme, mais s'il faut en passer par là... Je suis aussi pour le retour au duel d’honneur mais je ne suis pas sûr que cela soit accepté. 

samedi 28 mai 2016

Champions du monde

Publié le 12/09/2011

La France est championne du monde…de la frustration au travail. La faute, selon plusieurs auteurs, a une culture peu propice aux promotions de ses travailleurs les plus talentueux ou les plus investis (1). Plus précisément, la haute direction des organisations françaises serait le monopole d’une petite noblesse de concours issue de grandes écoles, bloquant l’avancement des cadres issus des organisations elles-mêmes (2). La France est ainsi un des seuls pays développés où on peut raisonnablement anticiper vingt ans à l’avance sa position sociale. Cela ne signifie pas que cette nouvelle noblesse ne soit pas talentueuse, c’est souvent l’inverse, mais que lorsque le premier critère d’avancement n’est pas le mérite mais le logo de son école initiale, le travail de l'ensemble devient moins motivant et donc aussi moins productif ou innovant.

Les tenants (bénéficiaires) de cette situation arguent du caractère ouvert du recrutement initial des grandes écoles. Cela est de moins en moins le cas, la proportion de recrutement populaire dans les quatre principales grandes écoles françaises est ainsi passée de 29 % en 1950 à 9 % en 1990 et cette tendance se poursuit d’autant plus qu’en situation de crise des réflexes auto-protecteurs réduisent encore l’ouverture (3). En cours de carrière, il existe également des passerelles pour les « non élus » pour accéder aux échelons supérieur mais sans grande possibilité d’atteindre les sommets. La haute direction des grandes entreprises et des administrations reste un quasi-monopole (c’est-à-dire plus 90 % des postes) des élèves de grandes écoles.

Le cloisonnement et la rigidité induits par ce système étaient compensés traditionnellement par un sens important du devoir (autre héritage de la culture d’Ancien Régime) et un certain paternalisme. Cela fonctionnait à peu près dans le système industriel tayloriste des Trente glorieuses (qui coïncidait aussi avec la forte démocratisation de la société d’après-guerre). Désormais, et particulièrement au niveau le plus bas, à cette mauvaise gestion des rapports humains s’ajoute une pression nouvelle due à une décentralisation de l’action et une exigence nouvelle de productivité et de qualité « totale ». L’« ouvrier » ou l’« employé » deviennent « stratégiques » à la manière des entreprises étrangères, japonaises ou américaines essentiellement. La différence est que dans ces pays la pression est compensée par la sécurité (relative mais réelle) directe de l’emploi dans l’entreprise ou indirecte dans la société (autrement dit un chômeur retrouve assez facilement un emploi) associée à une certaine considération (ouvrier n’y est pas devenu synonyme de « beauf »). En France, il est difficile d’échapper à la pression que ce soit par une évolution positive de carrière ou en allant « voir ailleurs ». Avec un taux de chômage de 10 % il n'y a souvent pas d'ailleurs et tout le monde ne peut se transformer en entrepreneur (4).

Au bilan, une étude réalisée par l’IMD de Lausanne en 2004, classait la France 57e sur les 60 pays étudiés en matière de qualité des relations sociales. Un autre sondage réalisé par un institut américain ne classait aucune société française parmi le Top 100 des « entreprises où il fait bon travailler » (4). Les services publics ne sont pas forcément mieux lotis. Une autre étude révélait par exemple que moins de 5 % des employés de la fonction publique anticipaient que leurs mérites seraient un jour reconnus et récompensés (contre 21 % dans le privé, ce qui n’est déjà pas fameux) (1). Tout cela se traduit par une productivité sous-optimale (la forte productivité française est surtout le résultat de la préférence pour les machines sur les hommes pour les emplois peu qualifiés) et des coûts humains importants (stress, suicides, consommation médicamenteuse) qui freinent la croissance et l’innovation.

(1) Thomas Philippon, Le capitalisme d’héritiers, Seuil, 2007.
(2) Philippe d’Iribarne, La logique de l’honneur, Seuil, 1993.
(3) Michel Euriat, Claude Thelot, « Le recrutement social de l'élite scolaire en France. Evolution des inégalités de 1950 à 1990 », in Revue française de sociologie 36/3, 1995.
(4) Frédéric Lemaître, « Pourquoi Toyota n’est pas français », in Le Monde, 25 mai 2007.

vendredi 13 mai 2016

J'irai rapper sur vos tombes !

Tous les dimanches, mon grand-père venait nous voir. Il s’attablait et après un ou deux verres, un souvenir de la Grande guerre lui revenait presque systématiquement. On avait droit en vrac, au massacre d’un escadron de Uhlans dans une embuscade au début de la guerre, aux terribles combats près de Reims en juillet 1918 où il avait tenu sa position pendant plusieurs jours face à la dernière offensive allemande, en ne buvant que du Champagne récupéré dans une cave voisine. Il y avait surtout la Somme. Sergent au 7e Colonial cet homme-là avait participé à l’assaut initial (oui, le 1er juillet 1916, que les Britanniques, qui ont perdu 20 000 morts ce jour-là, vont bientôt célébrer avec une grande dignité). Après plusieurs jours, il s’était retrouvé seul avec son capitaine au milieu de la deuxième position allemande. N’écoutant que leur courage, qui à l’époque disait encore quelque chose à beaucoup, ils étaient descendus à deux dans les boyaux et étaient tombés nez-à-nez avec plus de 70 Allemands abrités dans un stollen. La surprise aidant ils avaient gagné le combat et avaient réussi à ramener tous les prisonniers dans les lignes. Il avait été de tous les combats, d’un bout à l’autre de la guerre (ah oui, le chemin des Dames aussi), mais par le hasard des rotations pas celui de Verdun, ce qui pouvait presque passer pour un manque de sérieux à l’époque.

Je ne suis pas sûr que cet homme-là, qui parlait pourtant de tout cela avec la légèreté de l’évidence, ait apprécié pour autant que l’on décida de s’amuser pour célébrer le courage et le sacrifice de ses camarades. Je ne crois pas qu’il ait goûté particulièrement que l’on ait choisi et payé pour cela un chanteur pour ados qui visiblement n’avait pas la moindre idée de l’importance de ce qu’on évoque. Je ne pense pas qu’en écoutant les quelques textes de cet artiste et de ses camarades, il ait pu retrouver les valeurs qui l’animait à l’époque, des choses futiles comme la défense de la nation ou la fraternité entre ceux qui la constituent. Il aurait certainement trouvé que cela manquait pour le moins de « gueule » sinon de dignité, et qu’il s’agisse de rap ou de java, voire d’un vieux rockeur ou d’un ancien tennisman en mal avec leurs impôts, n’avait rien à voir à l’affaire. Il y a en revanche une chose dont je suis sûr, c’est qu’il eut été furieux que l’on qualifia son « étonnement » de réaction « rance », raciste voire fascisante, comme si s’insurger contre l’indigne était un monopole du Front national.

J’ai bien regardé et il n’apparaît nulle part que le bois des Caures ait été défendu par la tendance Jean-Marie ou que Douaumont ait été repris par la branche Marion. Alors par pitié, prenez un tout petit peu de hauteur, au moins celle de la côte 304 ! Ces Français qui ont été jetés dans la bataille, ils ont « toujours » des droits sur nous. Le premier d’entre eux c’est d’exiger d’être un minimum digne quand on parle d'eux. En fait non, c’est déjà d’être digne tout court et visiblement par ce que l’on voit et entend depuis un certain temps, c’est une bataille qui est encore loin d’être gagnée. J’en connais qui ne sont pas contents dans leur dernière tranchée et qui méritent mieux que le spectacle, et pas seulement celui de Black M, qu’on leur propose. 

lundi 9 mai 2016

Hé oh, la guerre

« La guerre est une chose trop sérieuse pour être laissée aux militaires »
Clément Attlee à Charles de Gaulle, reprenant Clemenceau
« La politique est une chose trop sérieuse pour être laissée aux politiciens »
Réponse de Charles de Gaulle à Clément Attlee

On a bien eu dans les armées le « Je raye de l’avancement tout officier qui aura son nom sur la couverture d’un livre » de la part d’un Maréchal du Second Empire qui aurait été bien incapable d’en écrire un mais qui a quand même été le premier Président de la IIIe République. On se souvient du sort de notre armée d’ « opérations extérieures » belle muette inorganisée. Elle fut balayée en un seul mois de 1870 et cette défaite fut la première à être qualifiée d’ « intellectuelle ».

On a eu ensuite l’époque du « Tout ouvrage écrit par un militaire devra avoir l’imprimatur de mon cabinet » par un certain Gamelin, bon élève soucieux de ne pas déplaire et devenu chef d’état-major. C’était aussi quelques années avant la plus cruelle de toute nos défaites, elle-aussi qualifiée d’ « intellectuelle ».

Car à la guerre, il faut penser et même penser vite et fort. 

On notera qu’entre les deux événements douloureux cités plus haut, il y a eu le défilé de la victoire du 14 juillet 1919. La génération de militaires qui avait défilé ce jour-là était au contraire celle qui avait eu le plus de noms sur des livres. Cette génération bouillonnante a écrit énormément, dans de nombreuses directions parfois irréalistes, s’est engueulée ouvertement, mais elle a réfléchi, puis elle a gagné et elle a gagné parce qu’elle avait réfléchi. Les soldats de cette époque se passionnaient pour les sciences, sociales chez certains, « dures » et techniques  pour d’autres. Ils en reflétaient les délires mais aussi les potentialités et ont su les utiliser pour vaincre. Il ne faut pas oublier que la transformation de l’armée française de 1914 et 1918 est la plus profonde et rapide mutation jamais réalisée par une grande organisation française et cela n’a pas pu être l’œuvre d’idiots. Elle n’a pas été non plus l’œuvre de fonctionnaires civils du ministère ni des contrôleurs généraux, même si ils y ont eu un peu leur part.

Ces soldats participaient aussi aux débats parlementaires sur la guerre, car à l’époque il y avait des débats et de très haute tenue sur les choses de la guerre. Il est vrai que les décisions se prenant au Parlement, les représentants de la nation étaient un peu obligés de s’intéresser aux questions militaires et ils n’hésitaient pas pour cela à faire appel aux meilleurs experts, c’est-à-dire les militaires eux-mêmes. On interdisait aux militaires de voter (jusqu’en 1946) mais on les incitait à s’exprimer. Un militaire qui écrivait dans une revue (et il n’était pas question de « rester à son niveau ») n’était pas immédiatement traité de « pseudo expert autoproclamé » et sa haute hiérarchie ne lui tombait pas dessus ensuite pour avoir fâché l’échelon politique (ou, pire encore, pour avoir cru que cela « pourrait » fâcher). A l’époque, on pouvait contester les critiques mais on les respectait. Rétrospectivement, il s’avère d’ailleurs que dans ces réflexions libres, les visions justes et les analyses constructives l’emportaient très nettement sur les erreurs manifestes (que l’on retient généralement).

Il est vrai que dans la classe politique de 1914, il y avait aussi des Clemenceau, Jaurès ou Poincaré. Ces gens-là ne craignaient pas la contradiction. La politique n’était pas forcément pour eux une simple série d’élections à gagner et quand Clemenceau disait faire la guerre, il la faisait réellement, lui. Ce n’est qu’ensuite que les choses se sont à nouveau gâtées, en commençant, comme les poissons, par la tête et la tête qui est censée définir la stratégie est d’abord politique.

Les guerres se gagnent, aussi, par la critique ouverte et tolérée (tant qu’on ne révèle pas de secret opérationnel) de ce qui se fait, surtout lorsque ce qui se fait ne nous conduit pas visiblement vers la victoire. Tout ce qui bloque ce débat : l’autoritarisme « droit dans ses bottes », la prétention élitiste au monopole de la pensée, le petit calcul politique, la peur de déplaire à l’Elysée, la peur de ne pas avoir un poste prestigieux ou très bien payé à l’issue de son commandement, l’argument de la critique « dans un fauteuil », etc., tout cela est un facteur de défaite. Les cimetières des batailles perdues sont pleins de militaires à qui on a demandé de fermer leur gueule. Les histoires des  désastres sont pleines de citoyens à qui on a interdit de réfléchir.

Au fait, on en est où de la guerre contre l’Etat islamique et les autres organisations djihadistes. Ça va mieux ?

PS : Clemenceau disait qu'après le milligramme, plus petite unité de poids et le millimètre, plus petite unité de distance, le militaire était la plus petite unité d'intelligence....C'était plus un bon mot qu'une croyance et au moins, ça c'était drôle. 

samedi 7 mai 2016

La voie romaine

La série « Les épées » est issue de l’expérience des cours donnés à Sciences-Po/Paris School of International Affairs sur l’histoire de l’évolution des armées. Le but de ces cours est d’analyser les freins, les moteurs, les acteurs et les processus qui ont permis la transformation des armées au cours des siècles à la manière des travaux d’état-major sur les conflits en cours.

Cette série de documents reprend ces travaux en les développant et en les complétant par de nouveaux cas concrets. Ce nouveau numéro est consacré à l'innovation militaire sous la République romaine de 509 av JC jusqu'aux guerres civiles et l'établissement du Principat. 

Cette analyse est disponible en format pdf (ou Word sur demande) à goyamichel@gmail.com et, à condition que cela vous plaise, au prix qu'il vous plaira (il suffit d'appuyer sur le bouton paypal en haut à droite sur ce blog et il n'y pas besoin d'avoir soi-même un compte paypal). 

Il est disponible en format Kindle (lisible sur ordinateur sans liseuse Kindle) en cliquant ici ou sur l'icone à côté.

Toutes les remarques et corrections sont les bienvenues.

Introduction

L’histoire de la République romaine, c’est d’abord l’histoire d’une réussite militaire. Pendant un siècle et demi, des débuts de la République en 509 jusqu’à la soumission des Volsques en 341 (sauf mention contraire toutes les dates sont avant JC), Rome lutte contre ses voisins immédiats, Etrusques, Sabins, Eques, Volsques et Herniques, dans un rayon de cinquante kilomètres. C’est une lutte opiniâtre et quasi-permanente, pour la survie d’abord, pour l’hégémonie ensuite dans la région, ponctuée de raids des tribus gauloises qui s’installent en même temps dans la vallée du Pô. Il faut ensuite moins d’un siècle, de 341 à 264 pour conquérir tout le centre et le sud de l’Italie et puis à peine plus, de 264 jusqu’à 132, pour dominer toute la Méditerranée après avoir vaincu l’empire punique, les diadoques grecs et les redoutables tribus gauloises cisalpines ou ibériques. La crise politique qui finit par mettre fin à la République en 27 ap JC n’empêche pas de nouvelles victoires en Gaule, contre le roi du Pont Mithridate VI ou l’Egypte ptolémaïque.


On assiste donc non seulement à une réussite inédite depuis celle, beaucoup plus éphémère d’Alexandre le grand, mais aussi à une réussite en accélération constante, accélération d’autant plus spectaculaire qu’avec Carthage ou la Macédoine, Rome fait face à des adversaires autrement plus redoutables que les Volsques ou les Sabins. On est donc en présence à la fois d’une vision stratégique de long terme associée à une forte capacité d’adaptation tactique, deux traits propres à Rome et que ses voisins ne possèdent pas ou à un degré moindre et qui suffisent à engendrer un processus cumulatif de puissance irrésistible. La source de ce processus est à la fois institutionnelle et culturelle. 
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17 pages-10 200 mots

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