samedi 26 septembre 2015

Lorsque les dividendes de la paix et l'engagement de l'armée française en sécurité intérieure facilitèrent le déclenchement d'une guerre mondiale


Réédition d'un article paru le 15/09/2012 sous le titre Crise militaire

Les armées peuvent aussi subir des crises en temps de paix. Une des plus sévères de l'armée française a eu lieu au tout début du XXe sicèle et ses conséquences stratégiques ont été considérables. Cette crise est la conjonction de plusieurs phénomènes. Le premier est la croyance que la guerre entre les nations européennes est révolue du fait de l’interpénétration des économies issues de la première mondialisation, du triomphe de la raison positiviste et de la dissuasion des armements modernes.
La première conséquence de cette croyance est l’empressement à toucher les « dividendes de la paix » et à ponctionner le budget militaire pour tenter de résoudre les difficultés financières de l’Etat. Les crédits d’équipements de l’armée chutent ainsi de 60 millions de francs en 1901 à une moyenne de 38 millions de 1902 à 1907 avant de revenir à 60 millions l’année suivante et monter jusqu’à 119 millions à la veille de la guerre. Le ministère des finances s’évertue par ailleurs par de multiples procédés à ce que cet argent ne soit jamais complètement dépensé. Ce creux budgétaire est une des causes du retard considérable pris par la France dans l’acquisition d’une artillerie lourde.
La deuxième conséquence directe de cette remise en question du rôle de l’armée est à mettre en relation avec le service militaire universel qui s’impose pour la première fois avec la loi de 1889 aux fils des classes aisées et aux intellectuels. Ils y rencontrent une institution dont la culture est encore héritée du Second Empire, voire de l’Ancien Régime, époque où, selon L’Encyclopédie, « le soldat est recruté dans la partie la plus vile de la nation ». De cette rencontre naît, chose inédite, une littérature de la vie en caserne, souvent peu flatteuse pour l’armée (Le cavalier Miserey d’Hermant, Les sous-offs de Descaves, Le colonel Ramollot de Leroy, etc.). Ce mouvement critique (qui suscite en réaction des articles comme Le rôle social de l’officier de Lyautey en 1891), vire à l’antimilitarisme après l’affaire Dreyfus (1898).
Ce divorce prend une nouvelle tournure avec l’arrivée au pouvoir des Radicaux en 1899, bien résolus à transformer un corps d’officiers « recrutés dans les milieux traditionnalistes et catholiques et vivant en vase clos, jaloux de leur autonomie et attachés au passé » (Waldeck Rousseau). L’affaire des fiches (1904) fait éclater au grand jour cette politique d’épuration et jette d’un coup la suspicion sur le corps des officiers généraux nommés sous ce pouvoir politique.
Pire encore, en l’absence de forces spécialisées, l’armée est massivement employée dans des missions de sécurité intérieure, dans le cadre des inventaires des congrégations (1905), des grèves des mineurs du Nord (1906) et des viticulteurs (1907). L’antimilitarisme se répand aussi dans les milieux populaires. Il y a 17 000 insoumis en 1909. Lorsqu’il faut mettre en œuvre le service à trois ans en 1913, la rumeur se répand que la classe 1911 sera prolongée d’un an, ce qui provoque des troubles dans plusieurs garnisons. On préfère donc faire appel simultanément à deux nouvelles classes, ce qui pose d’énormes problèmes de logement, d’instruction, etc. Au moment de la mobilisation d’août 1914, on est encore persuadé qu’il y aura environ 15 % de réfractaires (0,4 % en réalité). La leçon sera comprise puisqu’après la guerre, on créera des unités non-militaires de maintien de l’ordre pour éviter à l’armée de se couper de la nation par ce type de mission.
Durant cette période noire, le moral des officiers s’effondre. Les candidatures à Saint-Cyr et Saint-Maixent chutent. Les départs se multiplient notamment chez les Polytechniciens, pour qui la voie militaire sera désormais marginale. La pensée militaire française, renaissante à la fin du XIXe siècle avec l’Ecole supérieure de guerre, s’éteint. Plus personne n’ose écrire de peur de sanctions. Même les règlements tactiques ne sont pas renouvelés pendant des années.  
L’ambiance change à partir de 1911 avec le changement de gouvernement et surtout la montée rapide des périls qui transforment d’un coup la perception que l’on a de l’emploi des forces. Aussi sûrement que la paix était certaine, à peine quelques années plus tôt, la guerre apparaît désormais comme inévitable. Or, l’armée française n’est plus aussi prête à la guerre qu’avant la crise. Elle, qui était en pointe des innovations à la fin du XIXe siècle, a pris du retard par rapport aux Allemand. De nouvelles technologies comme le téléphone ou le moteur à explosion se développent en pleine paralysie intellectuelle des militaires qui les ignorent largement. Le corps des généraux, issu de la période, est tel que 40 % d’entre eux seront « limogés » dans les premiers mois de la guerre pour incapacité. La lâcheté apparente de ces mêmes généraux face aux décisions politiques désastreuses d’avant-guerre pousse à la contestation un certain de jeunes officiers, baptisés Jeunes Turcs. Leur mouvement, salutaire par de nombreux aspects, va aussi conduire à cette forme de psychose collective que l’on appelle l’ « offensive à outrance ». En 1914, constatant toutes ces faiblesses, le Grand état-major allemand est persuadé que c’est le moment d’attaquer la France.
Autrement dit, des décisions prises en quelques années comme la réduction des moyens ou l’emploi en sécurité intérieure, ont suffi pour affaiblir considérablement la capacité de dissuasion de l’armée française. Le XXe siècle tout entier s’en est trouvé transformé. 

samedi 19 septembre 2015

Les Ailes françaises au Tchad : Retournons le sablier…-par Bernard Lart

De la période Fort Lamy 1960 à N’Djamena 1975…

Le Tchad (1) occupe une place à part dans l’histoire des colonies françaises au XXe siècle. En été 1940, alors que la métropole et l’empire colonial français apprenaient les paroles de « Maréchal nous voilà », cette colonie rejoint la France Libre du Général de Gaulle. C’est en effet, sous l’impulsion de son gouverneur Félix Eboué (d’origine guyanaise) que ce territoire se tourne vers « l’homme du 18 juin ». Cette particularité historique est renforcée par le départ de Fort Lamy (2) de la première opération militaire de l’embryon des Forces Françaises Libres. En effet, un colonel (un des rares qui veut continuer la lutte contre le vainqueur allemand en rejoignant de Gaulle) à la tête de tirailleurs sénégalais (en fait, des Tchadiens du sud de la tribu Sara), se lance en janvier 1941, dans un raid suivi d’un coup de main sur une garnison italienne du Fezzan (au sud de la Libye). Il s’appelait Leclerc et la saga du ‘’serment de Koufra ‘’ démarrait.

En septembre 1958, l’approbation par referendum  de la Ve République, permet « en douceur » l’accession à l’indépendance des colonies africaines (AOF & AEF). La Communauté française qui se veut un « Commonwealth » à la mode de Paris, cherche à régir les relations entre l’ancienne puissance coloniale et ces nouvelles nations à la négritude affirmée (Expression du normalien, Léopold Senghor futur président du Sénégal).

La « guerre froide » opposant les pays occidentaux aux pays communistes va s’étendre sur le continent africain. Une politique du « pré carré » au sud du Sahara s’établit dans l’esprit des dirigeants de notre pays. Avec en devanture, un ministère de la coopération, un management à l’Elysée (3) et  « en arrière boutique », une caserne sise boulevard Mortier, sans oublier une petite compagnie aérienne(4)…Quelques années plus tard un mot résumera ces relations : Francafrique, l’auteur de ce néologisme ? Félix Houphouët Boigny, (ancien ministre de la IVe & Ve République), devenu président de la République de Côte d’Ivoire.

1960, Indépendance du Tchad.
Ce pays, le Tchad est le quatrième plus grand pays du continent africain (Superficie 1 285 000 km 2). Il s’étend entre le 5e  parallèle de latitude Sud et le tropique du Cancer. Le Tchad possède, dans son fantastique étirement longitudinal, des frontières d’une grande linéarité (5). A l’intérieur, une  population autour de 10 millions d’habitants (espérance de vie 48 ans, PIB 240 $). La diversité tchadienne est représentée par des variétés ethniques (plus d’une centaine) ; aucune ethnie n’est majoritaire et le nombre exact de dialectes ne peut être connu avec exactitude. Parmi  les 13 langues dont 18 sont parlées par 50 000 locuteurs, il y a le français et l’arabe tchadien (6). Trois religions - musulmane, animiste et chrétienne (catholiques/protestants) -, cohabitent, mais les antagonismes entre nomades du Nord (les seigneurs du Dar el Islam) et les sédentaires du Sud du Dar el Abid (= pays des esclaves) ont tendance à ressurgir, après un demi-siècle de paix coloniale (7).

1965, « Une jacquerie »…     
Les populations du Guéra se soulèvent contre un emprunt forcé payable en bétail et le quadruplement de la « taxe civique » d’où :
* Tueries d’une dizaine de fonctionnaires  (originaires du Dar el Abid),
*  En représailles, l’Armée Nationale Tchadienne (ANT) rase plusieurs villages (8)
1966, cristallisation de l’opposition, un mouvement armé, le Front de Libération National (FROLINAT) est créé. Ce mouvement rassemble les musulmans du Nord et du Centre-Est, mais également des opposants de toutes régions influencés par le nassérisme.
1968, Les Toubous-Goranes, grands nomades chameliers de la vaste région du B.E.T. (Borkou, Ennedi, Tibesti = 45% du territoire)  sont en rébellion ouverte (9). La dissidence est là.
Ces troubles préoccupent de Gaulle pour qui, le Tchad, a valeur d’un haut symbole (1940 : Le début de la France Libre).
Au mois d’août 1968, une opération ponctuelle est déclenchée contre une mutinerie des Toubous de la Garde nationale ; un élément de la 11e Division Parachutiste avec une petite force aérienne stationne à Bardaï pendant deux mois. Sans combat, on dégage le préfet, un colonel tchadien, d’une très mauvaise posture.

En mars 69, le président François Tombalbaye (10) fait appel à la France, lors de sa rencontre avec M. Foccart ; celui-ci analyse la déliquescence de l’état tchadien et…la menace soviétique qui se pointe du côté du Congo Brazza. En avril 1969, sous l’impulsion de l’ambassadeur de France (M. Wibaux), une mission de réforme administrative (MRA) commence à œuvrer pour épauler les fonctionnaires tchadiens. On n’oubliera pas le côté militaire avec l’envoi de 600 conseillers dans le cadre d’une assistance militaire technique (AMT) à l’Armée Nationale Tchadienne (ANT).

En métropole, le monde politique se prépare au référendum sur la régionalisation (et sur la suppression du Sénat…). Le « non » l’emportant pour la première fois, le premier Président de la Ve République démissionne ! Georges Pompidou est élu, on change les meubles à l’Elysée et la France, en cet été 69, se débride… M. Foccart de la cellule élyséenne est toujours là, et il convainc le nouveau Président d’envoyer au Tchad des unités de professionnels, « sans le claironner ». De toute façon, l’opinion publique n’en n’a que faire ; pour les Français d’après mai 68, l’armée se résume à la « bombe atomique ». Il y a bien le service militaire, mais cela intéresse que les parents des conscrits  « non pistonnés » qui, durant 16 mois (et bientôt 12 mois), vont goûter aux frimas de la ligne bleue des Vosges et à la vie du rail nocturne. Dans les transistors et les premiers autoradios, les « tubes » s’enchaînent ce qui permet aux Français de fredonner des airs « peace & love » : « La Californie. Wight is Wight » et autres «  je t’aime, moi, non plus ». Les « Trente glorieuses » de notre société occupent les esprits.

 L’engagement                                                     
En renfort d’un Régiment Inter Armes Outre-Mer (6e RIAOM) stationné sur cet immense territoire, les légionnaires parachutistes du 2e REP  sont déployés. De son côté l’Armée de l’Air positionne sur la Base aérienne 172 de Fort Lamy :

 ~ Une dizaine d’avions Nord 2501 (un Transall C160 en présérie viendra effectuer des détachements), une douzaine d’hélicoptères H34 Sikorski cargos dont  deux « Pirate » armés d’un canon de 20m/m et trois hélicoptères de liaison Alouette II. L’unité prendra le nom de Groupe Mixte de Transport  (GMT 059).

~ L’appui feu aérien verra l’arrivée de cinq Skyraider AD 4 N venant de l’entrepôt de Châteaudun (EAA 1. B.A. 279) et quatre autres AD 4 N de l’escadron 1/21 de Djibouti. Ils sont accompagnés par un Breguet 765 Sahara transportant les mécanos et le matériel technique. Ces deux flight qui avaient décollé de deux bases quelque peu éloignées se posent à Fort Lamy le 3 septembre 68, à cinq minutes d’intervalle !  Après avoir reçu leurs munitions, ils décollent pour Faya-Largeau, (situé à 1000 km au nord). Dès le lendemain un détachement se pose à Bardaï. A Aozou, où les Toubous encerclent cet oasis (11) le poste de l’ANT respire grâce à l’intervention au sol du 6° RIAOM avec l’appui des AD-4N.

A ces deux composantes s’ajoute un embryon de force aérienne tchadienne, composé de cinq DC3 Dakota et de trois MH 1521 Broussards (en 1970, un Cessna 337 « push-pull » dotera le parc avions de « La Tchadienne »). Les pilotes et mécanos sont détachés de l’Armée de l’Air (12). La mise en place d’une base avancée à Mongo est décidée (13) et la constitution de dépôts de barils de carburant stocké dans les postes isolés tenus par l’A.N.T. Résultat, les pleins se font à la pompe à main Japy ! Les équipages et mécanos ouvrant invariablement la séquence « Shadocks » (14). Le grand voisin du nord - avec sa façade méditerranéenne et ses futures réserves d’or noir -, a un vieux roi. Dans la nuit du 31 août au 1er septembre, la Libye se trouve un jeune leader (27 ans). Sous l’œil bienveillant du « Raïs » égyptien (le colonel Nasser), un certain Mouammar Kadhafi prend le pouvoir, sans effusion de sang (ce qui va changer quelques années après…).

« On ne fait pas la guerre au caillou (Tibesti) »
Tel aurait pu être l’axiome sur lequel le général français désigné pour commander cette intervention, aurait dû s’appuyer…Pour deux raisons géographiques :
- La faiblesse du peuplement dans ce Borkou-Ennedi & Tibesti (B.E.T.) ,
- L’éloignement et les rares voies d’accès…

Mais ce commandant des éléments français, refait des opérations de pacification (du style  maintien de l’ordre en Algérie avant l’arrivée du Général Challe) avec en appui (ou en secours…) «  l’aviation ».

Seulement voilà, les avions AD4 N sont des grands consommateurs d’huile (15 litres/heure) et les possibilités des voilures tournantes ne sont pas sans limites. Les causes en sont, les distances (le territoire tchadien c’est  deux fois et demie la France)  et les conditions climatiques (Chaleur d’où une portance  moindre, poussières et sables s’infiltrant partout). On tente d’innover dans l’appui aérien des troupes au sol, fin janvier 1970, un Nord 2501 du CEAM arrive de Mont de Marsan et se pose à Faya. Ce Nord POM (15) est armé de deux canons …

A terre, les opérations consistent à supprimer chaque fois les menaces contre les postes tenus par l’ANT, par des interventions localisées et temporaires, donc sans suites positives…Une série d’accrochages, parfois meurtriers, (et parfois accompagnés de destruction de palmeraie et de troupeaux) remplissent les cahiers de marche et les propositions de citation pour la « V.M. » (16)…Résultat, les Toubous-Goranes - qui avaient entretenus (pendant quarante ans) des relations respectueuses et dignes avec des cadres coloniaux (militaires français) -, deviennent de farouches ennemis ! Le nom de Goukouni Weddeye, fils d’un chef traditionnel Toubou ( « Derdé »), commence à se prononcer dans les oasis ...

Bédo le 11 octobre 1970

Une compagnie para (la 6e CPIMa) - de retour d’une de ces interventions et se dirigeant par camion (Dodge 6x6) vers l’oasis de Faya Largeau (chef lieu du B.E.T.) -, tombe dans une embuscade tendue par les Toubous. Ceux-ci ont monté ce guet- apens non prévu par le T.T.A. (17). En effet, les Toubous sont positionnés de part et d’autre de la piste et au milieu de nulle part … Armés de trois Fusils Mitrailleurs Bren, de fusils Enfield 303 et de carabines Statti ces fiers guerriers des sables ont fait, malheureusement, un bilan impressionnant : 11 paras tués ! Et 25 blessés.

Au mois d’août 2008, après l’embuscade meurtrière d’Uzbeen (Afghanistan) le nom de Bédo a resurgi. Le plus grand hebdomadaire de l’époque, Paris Match dans son n° 1120, sort en double page la photo des onze cercueils alignés sous l’ombre parcimonieuse des eucalyptus du camp Dubut à Fort Lamy, avec en titre : « Mort au Tchad : Mort sans nom ! ». L’opinion publique découvre avec stupéfaction que l’Armée française se bat en Afrique, 8 ans après la fin de la Guerre d’Algérie… alors que la théorie de riposte nucléaire fait florès dans les milieux autorisés. La France s’émeut.

Le lettré Georges Pompidou ne trouve pas de concetti pour tenter de contrecarrer  un des titres de la presse : « Une guerre qui n’ose pas dire son nom ».Il y a bien un ministre qui s’empresse de déclarer que « ce sont des engagés… », pour essayer d’endiguer la réminiscence douloureuse des retours de cercueils des soldats du contingent tués lors des « opérations de maintien de l’ordre » en Algérie. Pas de cérémonie aux Invalides, pas de décret présidentiel attribuant la Légion d’Honneur à ces soldats morts pour la France…Et puis l’actualité chassant l’actualité, le 9 novembre 70 : « Le Général de Gaulle est mort, la France est veuve » (début de la déclaration présidentielle à la Télévision).

Le commandement positionne deux avions AD4 N en permanence à Faya- Largeau et par un prompt renfort le nombre de « Sky » passe de 6 à 9 sur ce théâtre d’opérations tchadiennes. L’E.L.A 1/22 Ain se voit attribuer un insigne ‘’Le Ramel ‘’ (rapace d’Afrique). On fait appel à l’Aéronavale…Le Porte-avions Foch de passage au large de Douala, (port camerounais, mais également ouverture maritime pour le Tchad et la R.C.A.) laisse sa Flottille d’hélicoptères HSS 1 (Sikorsky S58), ceux-ci rejoignent Faya Largeau, fin décembre 70. (18)

En 1971, le FROLINAT est reconnu par le colonel Kadhafi, mais ce soutien ne s’accompagne pas de livraisons d’armes modernes. L’intervention perdure, sous une appellation : Opération Limousin ; cela fleure bon la province, mais cela cache 13 engagements qui se sont succédées (entre novembre 1969 et octobre 1970). Les accrochages « égrènent » les tombés au champ d’honneur, parmi ceux-ci un Médecin-Commandant et puis, le fils du général commandant les troupes françaises.

* Le détachement de l’ALAT avec ses Piper-tri-Pacer est à l’épreuve, résultat : un de ses appareils est abattu du côté d’Amdagachi et trois membres d’équipage tués. Les avions et hélicos décollent des pistes « dakotables » comme, Am Timan, Bardaï, Bilkine, Fada, Faya, Melfi, Mongo, Ounianga Kébir, Oum Chalouba, Zouar, etc. Les carnets de vol s’enrichissent des noms d’opération tels que : Améthyste, Ephémère, Criquet, Crocodile, Hyène, Caniche, Moquette, Cocker, Lévrier, Griffon, Setter, Picardie, Bison alpha etc.

Pour le personnel (non volontaire) du GMT 059, le séjour dure 9 mois sans permission en métropole, seuls quelques jours de détente à Douala et sur la B.A 172 sont au programme : c’est rude et aporétique par rapport à leurs homologues - volontaires « OM » affectés pour 18 mois -, de la B.A.172 de  Fort-Lamy. Dans cette garnison, les aviateurs de la base vivent l’ambiance du « bon temps des colonies » très loin des accrochages et des bivouacs avec lits picots à l’ombre des kékés.... Cette analogie permet de renforcer l’esprit de corps du détachement de voilures tournantes du GMT 59.

Toutefois dans cette capitale, la luxuriance africaine ne fait pas partie du paysage, et l’EMAA ayant décidé que les épouses étaient « persona non grata », le soir, il n’y a pas la quiétude retrouvée d’un foyer familial. Après quelques « mazout » (19), pour  le « nassara » la magie des nuits africaines se distillent…

L’Armée Nationale Tchadienne est dorénavant encadrée (grâce à l’AMT) et des officiers commandos zaïrois (eux-mêmes instruits par des Israéliens) donnent un vernis offensif. Le général français quitte le Tchad, en déclarant que « seules quelques bandes de brigands sont encore à l’œuvre »…

Fin 1972, Tombalbaye, inspiré par le maréchal Mobutu président du Zaïre (ex Congo Belge), se lance dans un programme « d’authenticité africaine ». Il invente une religion et préconise le Yondo (phase d’initiation des jeunes tchadiens), le Vaudou arrive par des conseillers haïtiens, les prénoms doivent retrouver une origine africaine (lui-même change son prénom François en Ngarta) et la capitale Fort Lamy devient N’djamena, le 7 septembre 1973. Les ministres et autres hauts fonctionnaires adoptent le costume zaïrois ce que traduit le franco-tchadien par l’expression « abacoste » (à bas le costume cravate).

Début de la période N’Djamena…
En 1973, le président tchadien Ngarta Tombalbaye - sous l’influence de ses conseillers haïtiens -, desserre les liens avec la France et noue des relations avec le Soudan et la Libye. En échange de l’arrêt du soutien au FROLINAT, Tombalbaye cède aux Libyens, la bande d’Aozou (l’équivalent d’un cinquième de la France). 

Les autorités françaises n’en prennent pas ombrage. Le bouillant colonel Kadhafi a une côte sympathique du côté des médias parisiens et des…industriels de l’armement ; les commandes étant payées cash ! Grâce à l’argent du pétrole (20). Le Président Pompidou reçoit le leader libyen à Paris, le résultat de cette visite officielle : la vente de 32 Mirages F1 (avec à la clé la formation des pilotes et le soutien technique) (21).

Pierre Messmer vient de succéder comme Premier Ministre à Jacques Chaban-Delmas ; l’ancien ministre des Armées du Gal de Gaulle (nommé en février 1960 au moment des ‘’ barricades ‘’ d’Alger) ne veut pas que les militaires français revivent le syndrome de la fin de l’Algérie française dans ce grand bac à sable qu’est le Tchad… Seule la trouée de Fulda (en R.F.A.) et le plateau d’Albion (en Provence) doivent être « dans le visuel » de tous gradés !
L’Armée française se retire officiellement et la Base Aérienne 172 n’existe plus en tant que telle.

Après plus de 21 000 heures de vol pour « ses grises » et 14 000 pour ses voilures tournantes, le GMT 059 - avec ses pilotes, ses radionavigants, ses mécaniciens, ses armuriers & commandos tireurs embarqués -, « plie les gaules » sans tambour ni trompette. Durant cette première période tchadienne, cette unité aérienne n’a eu à déplorer aucun tué et ce malgré des missions limites, dans un environnement hostile et parfois avec une ferraille ambiante qui avait impacté les carlingues des Nord 2501 et des H34 Sikorski.

«  L’humilité étant l’antichambre de toutes les vertus » on se doit d’écrire, que les membres d’équipage de ce GMT ont su adapter un savoir-faire opérationnel au contexte de ce conflit type «  feu de brousse »…Sans oublier le travail des mécanos qui ont assuré le soutien technique dans des conditions assez éloignées des règles appliquées au bord de la Soubise (B.A. 721) et du lac du Bourget (B.A. 725) …Du côté de l’ELA 1/22 Ain, au retour de missions d’appui feu, les « Ramel » peints sur le capot moteur des AD-4N se sont fait parfois des frayeurs lors des atterrissages (22).

La France continue à soutenir le pouvoir à N’djamena d’une manière qui se veut discrète. Un colonel « baroudeur de la colo » est désigné comme conseiller du Gal Malloum et l’Assistance militaire est toujours là. Le parc aérien de « La Tchadienne » se voit doter des 6 AD4 N ; ils sont pilotés par des contractuels français (23).

1974, le 2 avril, le Président Pompidou meurt. La France démarre une campagne électorale.
Au Tibesti, le FROLINAT avec Goukouni Weddeye, voit l’émergence d’un gorane, Hissène Habré (24). Voyant que Kadhafi a traité avec le pouvoir de Tombalbaye, Habré – malgré (ou à cause de…) ses « humanités parisiennes et ardennaises »-, a l’idée d’un enlèvement d’Européens. Du côté de Bardaï, il y a un médecin allemand et sa femme, un coopérant français et une ethnologue /archéologue (Mme Claustre est l’épouse d’un français œuvrant à la MRA de N’djamena) : Un besoin d’argent et d’armes justifiant ce rapt « ces «  Kirdis (25) » feront l’affaire» !

21 avril 74, une première mondiale : L’émergence de l’otage médiatisée…
Durant ce rezzou, la femme du médecin est tuée, ce qui incite les autorités allemandes a payé la rançon, le « Azst /daktor » est libéré. Quant au coopérant français otage, il est utilisé comme chauffeur/mécano par les rebelles Toubous (26), quelque mois après, il en profite pour s’évader.Seule otage restant, l’ethnologue française. La France est en pleine campagne présidentielle et les tentatives de négociation traînent quelque peu…Valéry Giscard d’Estaing est élu, il a 47 ans ; « VGE » se débarrasse des vieux de la cellule africaine de l’Elysée celle-ci sera dirigée par René Journiac. Un nouvel élan est donné à la « Francafrique » à la manière giscardienne. Les médias français s’emparent de l’affaire de l’otage. Lors d’un reportage de « Cinq colonnes à la une », la France profonde est affectée à la vue de Françoise Claustre pleurant, seule assise à même le sable de l’immense désert tchadien.

Le 11 septembre un Mirage IV décolle de Bordeaux Mérignac mission : Reconnaissance longue durée dans le nord du Tchad. C’est une première pour ce vecteur de la première génération des F.A.S. il est équipé d’un pod CT-52, de brouilleurs CT-51 Espadon. Cinq ravitailleurs C-135F sont requis pour ce vol. Le 14 septembre : « Rebelotte » (nom de cette seconde reco. stratégique). A Paris, on accepte la demande de Tombalbaye d’envoyer un officier français (conseiller sécurité à N’djamena) comme négociateur auprès d’Hisséne Habré. Le 23 août, Pierre Claustre, le mari a rejoint son épouse et Habré possède tous les atouts dans cette partie de poker menteur… une exécution des otages est annoncée !(27)
1975, l’Harmattan, ce vent historique du nord, va continuer à souffler, mettant à rude épreuve les esprits. En avril, le Gal Félix Malloum devient président après que Ngarta Tombalbaye ait été assassiné. Pas d’émotion à Paris, on doutait de plus en plus de ses capacités à gouverner…Le général président Malloum s’empresse de dénoncer l’accord avec la Libye.

Quant à l’armée tchadienne, elle monte des opérations au centre et à l’est du pays, les Pumas de l’ALAT assurent le transport au plus près des accrochages, comme durant l’opération Koro et d’autres gesticulations de l’ANT. Le pire est parfois évité et la relation de ces accrochages n’arrive pas aux médias ; ceux-ci sont accaparés par le départ des Américains de Saïgon, les vietnamiens communistes sont vainqueurs et le terme de « boat people » va faire la une des journaux.

Dans le nord, Habré fort de ses otages réclame de Paris une livraison d’armes (la demande se chiffre à 17 tonnes !). Le SDECE va organiser cela, des vieux stocks  du temps du Biafra (1967/68) sont disponibles. Un vol de DC4 se fait entendre pas très loin de l’Emi Koussi (volcan éteint du Tibesti), mais Habré/ Weddeye sont exigeants sur la qualité des armes livrées ! Les otages traînent leurs solitudes et en France l’opposition s’indigne et les rumeurs et autres ragots trouvent un terreau favorable.

Le 25 septembre 1975, du côté d’Aouzou, un Transall se pose sur un terrain des plus sommaires…Moteurs tournant, par la tranche arrière un civil en descend, il a, à la main une mallette. Louis Morel, (ancien préfet des Ardennes et ancien directeur des RG) va remettre 4 millions de Francs (environ 700 000 €) à Habré. Malloum, après avoir appris qu’une rançon et des armes ont été livrées, exige le retrait de tous les militaires français. Le 27 octobre 1975, le dernier soldat français quitte le Tchad. Dans l’indifférence générale. Mais la saga des ailes françaises au Tchad allait perdurer en ce XXe siècle finissant et en ce début du XXIe

                                                                             Cdt (h) Bernard Lart

(1) Ce nom viendrait du mot lac que l’idiome - utilisé par les nomades arabes du nord -, traduit par « lû sad » ou « chad ».
(2) En mars 1900, Fort Lamy a été fondé par Emmanuel Gentil. Cette agglomération - qui se construit sur la rive droite du Chari -, prend le nom du Commandant Lamy, tué quelques jours auparavant dans la bataille de Kousseri. A l’issue de cet affrontement, le chef des forces autochtones, le sultan esclavagiste  Rabah fût décapité.
(3) La cellule africaine avec une éminence grise (Jacques Foccart) au service du Gal de Gaulle, mais pas éminence grise du général…
(4) Siège parisien du Service de Documentation Extérieure et de Contre-Espionnage (SDECE deviendra DGSE en 1981) qui possède une unité aérienne (ELA 1/56 Vaucluse stationné depuis 1967 sur la B.A.105 Evreux).
(5) Quoique certains décrochages permettent de penser que l’appétence à une boisson – l’absinthe - en vogue dans les années 1920 a pu contrarier quelque peu les visées du théodolite…
(6) Ou arabe « choa ». Le franco-tchadien est l’autre langue véhiculaire.
(7)Cette rivalité ancestrale, on la retrouve dans tous les pays du Sahel (Mauritanie/Sénégal ; Niger, Soudan & Mali…)
(8)Le chef de l’ANT, le Gal Félix Malloum avait baptisé ce genre d’opération : « Carbonisation » ! Vous avez dit humour noir ?…
(9)D’après le colonel Jean Chapelle auteur d’un livre intitulé ‘’Le peuple tchadien ‘’ (édition Harmattan 1980),  le Toubou est un « razzieur » redoutable par sa technique ancestrale et sa rusticité saharienne.
(10) De l’ethnie Sara converti au Protestantisme (Baptiste).
(11) Cette mise en place d’aéronefs préfigurait-elle les futurs interventions de l’Armée de l’Air sur la Mauritanie, la Libye et dernièrement le Mali, on peut le penser…
L’AD4 N avait un moteur de 2700 cv , celui-ci souffrait beaucoup dans l’air siliceux du Tchad, le résultat était : un changement au bout de 300 heures de vol. L’armement du « Sky » était de 4 canons de 20 m/m, 12 roquettes T10 ou 12 bombes de 250 lives.
(12) A l’exception d’un sergent pilote tchadien, le reste du personnel est français jusqu’en 1984.
(13) Dans cette grosse bourgade du centre du pays, l’acteur de cinéma Georges Marshall avait fait construire des boukarous (construction circulaire avec un toit conique en chaume) pour héberger les riches amateurs de chasse aux gros gibiers. Le D.I.H  Air s’y installa.
(14) Série TV en vogue à partir d’avril 1968. « Les Shadocks, mais qu’est-ce qu’ils font ? Ils pompent évidement ».
(15) Nord POM comme Police d’Outre-mer : Cet euphémisme serait-il une recherche dans la discrétion? Avec  deux AME 621 Oerlikon de 20 m/m montés sur affût aux portes latérales et la partie avant dotée d’une plaque d’une tonne de blindage ( afin de protéger l’équipage), cette « Grise » armée ne produit pas d’essais concluants, ses domaines de tirs sont limités. Fin février, ce Nord Pom retrouve l’air humide des Landes.
(16) Le 13 novembre 1968, le ministre de la Défense ouvre la possibilité de décerner la Croix de la Valeur Militaire au personnel servant au Tchad. Aucune médaille commémorative  n’est prévue: En effet, c’est sous la présidence de Valery Giscard d’Estaing que la médaille coloniale se transforme en médaille Outre-mer avec une agrafe Tchad et ce en 1979.
(17) Texte Toutes Armes qui réglemente toutes les missions et autres fonctions, dans l’Armée de Terre.
(18) En mars 1971, la 33e F retrouve le pont d’envol du Foch. Bilan des « marins du ciel » : Un hélico détruit (l’autre étant quelque peu abimé) lors d’une opération de « sling » pour changer le moteur d’un HSS1 en panne. A Mongo, dans les rangs des mécanos H34  qui, depuis plus d’un an, utilisent le palan (voir un tronc de palmier) pour changer « à bras ferme » un moteur défaillant, on sourit quelque peu…
(19) Chaque conflit où l’Armée française a été impliquée génère des mots et expressions particulières; pour le Tchad, on relèvera entre autres: le « Mazout » (Coca-cola avec whisky),  « la Gala » (marque de bière locale), « le kéké » (arbuste épineux) et le « Golo » (habitant du Tchad).
 (20) En octobre 1973, les pays pétroliers regroupés dans l’’OPEP décide de multiplier par quatre le prix du baril de pétrole.
(21) Ce qui a permis à certains sous-officiers & officiers à la roue dentée de vivre ‘’une pré-retraite ‘’ sur les côtes méditerranéennes de la Tripolitaine.
(22) Dans cette escadrille, on déplore un pilote tué en février 1969, son avion avait percuté la mer, lors d’une démonstration au large de Libreville (Gabon).
 (23) Le Gabon d’Omar Bongo mettant la « main à la poche ». Les autres Skyraiders retrouvant la météo dunoise (B.A 279) et certains seront donnés au Cambodge.
(24) Hisséne Habré -né en 1942 à Faya -, est remarqué  par « les alphabétiseurs » et il devient « bagagé ». Un officier français servant comme méhariste l’envoie en France. Etudes à Paris et un stage à la ‘’préfectorale ‘’ (Sous-préfecture de Sedan). Ce passage en métropole le confirme dans sa vocation d’administrateur et…d’honorable Correspondant du SDECE.
 (25) Kirdi, mot arabo-tchadien pour désigner les non-musulmans.
 (26) La pauvreté de ces rebelles du FROLINAT se traduisait par un manque de chauffeurs et un parc de véhicules très modeste (3 Land Rover) ; avec une partie de la rançon, ils ont pu acquérir un Santana (version ibérique du Land) et surtout se faire livrer de la nourriture (pâtes alimentaires, sucre, sel) pour ne pas vivre sur le dos des quelques habitants du B.E.T. et éviter ainsi les dénonciations…
(27) Funeste initiative. Pendant huit mois, l’officier français est retenu prisonnier par les Goranes d’Habré. Voyant qu’il va être exécuté, il demande à être fusillé. Refus du tandem Weddeye / Habré ; ils font procéder à la pendaison. Cet officier français s’appelait Commandant Pierre Xavier Galopin.