vendredi 30 mars 2012

La guerre en Libye-un an après


Les armées sont fondamentalement conçues pour les affrontements interétatiques et lorsque ceux-ci surviennent ils agissent comme les révélateurs soudains des forces et faiblesses des outils de défense et de leur emploi. Ce fut le cas lors du conflit contre l’Irak en 1991, ce fut encore le cas vingt ans plus tard lorsqu’il s’est agit d’intervenir en Libye.

Le premier enseignement de ce conflit est, avec le retour des politiques de puissance de la Chine et de la Russie, la difficulté croissante à engager la force armée dès lors que l’on s’oblige à passer par un mandat du Conseil de sécurité. Ce processus est encore compliqué par le rôle des organisations régionales comme la Ligue arabe sans parler de la nécessité du souhait d’au moins un des acteurs locaux auprès duquel on souhaite intervenir. Réaliser une telle « conjonction de planètes diplomatiques » exige pratiquement la conjonction d’intérêts particuliers et d’une forte émotion internationale, c’est-à-dire, de fait, le massacre médiatisé de nombreux civils.

La conséquence principale de ce processus contraint est le rétrécissement de la mission militaire au plus petit dénominateur commun politiquement acceptable. L’article 4 de la résolution 1973 décrit ainsi la mission : « protéger les populations et les zones civiles menacées d’attaque…tout en excluant le déploiement d’une force d’occupation étrangère sous quelque forme que ce soit et sur n’importe quelle partie du territoire libyen ». Autrement dit, il s’agit de parer à la menace la plus visible et spectaculaire (origine de la décision politique) par le moyen jugé le moins « intrusif » et ce en dehors de toute considération tactique, ce qui place d’emblée les forces engagées dans une position singulière. Si l’élimination de la menace aérienne kadhafiste ne pose pas de problème majeur aux forces aériennes les plus modernes du monde, il n’est pas évident qu’il en soit de même pour toutes les autres agressions possibles contre les populations. Heureusement, la mission  « trou de souris » peut être élargie grâce aux ambiguïtés de l’article 4 qui engage les Etats membres de « prendre toutes les mesures » nécessaires pour l’appliquer.

A partir de ces bases politiques à la fois limitées et floues, la campagne a rapidement abouti à un blocage opérationnel, comme souvent dans l’Histoire, à cette différence près que celui-ci est survenu entre adversaires aux potentiels de force très disproportionnés, preuve de l’existence de puissants freins non-matériels à l’action des forces de la coalition. 

De fait, comme il était prévisible, les trois armées engagées-américaine, britannique et française-ont réussi en quelques jours à la fois à établir la « zone de vol interdit » et, premier élargissement du « trou de souris », à renverser le cours de la bataille en Cyrénaïque grâce à des frappes françaises sur les forces terrestres ennemies. Cette première phase opérationnelle a échoué néanmoins à provoquer l’effondrement du système kadhafiste, objectif non avoué et pourtant évident car seul à même de mettre fin aux menaces contre les populations. Le différentiel de puissance au sol était alors trop grand en faveur des Kadhafistes pour permettre un tel basculement.

Avec l’adaptation partielle des forces kadhafistes à la puissance aérienne de la coalition et la moindre efficacité de celle-ci (retrait américain des unités de combat, prise de contrôle par l’OTAN, concentration sur l’appui direct aux forces rebelles au détriment d’actions sur les centres de gravité adverses), les combats se sont figés dans le golfe de Syrte et autour du port de Misrata où la population était directement frappée par les Kadhafistes.

Le déblocage opérationnel est intervenu d’abord grâce d’abord à l’intervention de moyens nouveaux (les groupements d’hélicoptères) qui ont permis de satisfaire plus efficacement les besoins directs des forces rebelles, de détruire l’artillerie qui frappait Misrata et de réorienter les moyens aériens vers Tripoli. Simultanément, le différentiel de force entre rebelles et kadhafistes a été réduit par l’envoi de conseillers et d’équipements pour les forces principales dans le Golfe de Syrte mais surtout dans les fronts plus proches de Tripoli, à Misrata et dans le djebel Nefoussa. Cette combinaison d’actions systémiques aériennes et directes terrestres a permis de s’emparer de Tripoli au mois d’août. L’issue des combats ne fait alors plus aucun doute.

La victoire en Libye a été ainsi obtenue par une série de choix politiques successifs d’engagement de moyens nouveaux en fonction des risques politiques encourus. Rétrospectivement, il apparaît ainsi que la guerre aurait certainement été très largement raccourcie si les moyens présents en août avaient été déployés dès le mois de mars. La campagne a été menée politiquement avec une grande prudence, en privilégiant très largement la protection de nos soldats sur celle des populations civiles que nous étions censés protéger. Dans cette ambiance post-héroïque on se félicite de n’avoir eu aucune victime mais on ne parle pas des victimes civiles que cette prudence a causé en prolongeant les combats.

Pour la France, l’engagement en Kapisa-Surobi depuis 2008 et cette intervention en Libye nous permettent, par extension, d’estimer ce que nous sommes actuellement capables de faire avec les forces prévues par le contrat d’objectifs (30 000 hommes, 70 avions de combat, 3 groupes maritimes dont le groupe aéronaval) : dans un contexte de contre-insurrection nous sommes capables de sécuriser-contrôler environ 3 millions d’habitants (la moitié de Bagdad); dans un contexte de conflit interétatique, nous sommes capables de vaincre la milice de Kadhafi (l’effort français représentait environ le tiers de l’effort réel de la coalition et, hors engagement terrestre, la moitié du contrat d’objectif). L’origine de cette inefficience relative est beaucoup plus psycho-politique que militaire. 

samedi 24 mars 2012

Lecture. Révolutions de Matthieu Pigasse


Ceci est « révolutions ».

Dans ce livre aussi clair que décapant, Matthieu Pigasse, décrit la crise financière actuelle comme une dérivation de la crise économique européenne, elle-même conséquence de la crise sociétale qui affecte le bien nommé « vieux continent ». Les Etats européens sont désormais victimes du double piège du vieillissement de chacune de leurs populations, avec le conservatisme qui accompagne le phénomène dans tous les domaines, et leur incapacité à s’entendre alors que leur destin est lié.

A ce constat quasi-bouddhiste (nous souffrons, nous souffrons parce que nous sommes égoïstes et conservateurs, on peut malgré tout s’en sortir), Matthieu Pigasse propose un « sextuple sentier » qui passe par la baisse de l’euro, une profonde réforme fiscale, la suppression des privilèges de toutes sortes (dommage qu’il se limite aux niches fiscales), un meilleur partage des revenus, la réindustrialisation et un projet européen fort. Il prône surtout un climat qui privilégie la prise de risque sur la rente, l’audace à la frilosité.

Entre le principe de précaution et la révolution, il faut désormais choisir.

mardi 20 mars 2012

Par Saint Michel...

Maréchal des logis chef Imad Ibn ZIATEN 
Caporal Abel CHENNOUF 
1ère  Classe Mohamed Farah Chamse-Dine LEGOUADE 




Combats et opérations n°2 est paru


Le numéro 2 de l’excellente revue Combats et opérations est paru.

Votre serviteur y signe une extension du billet "déroute à Beyrouth".

Pour vous abonner (c’est nettement moins cher) :


dimanche 18 mars 2012

vendredi 16 mars 2012

Hervé Coutau-Bégarie : un testament d'avenir


Hervé Coutau-Bégarie, fondateur de l’Institut de Stratégie Comparée et président de l’ISC-CFHM, est mort le 24 février 2012. La perte est affreusement cruelle pour sa famille, à la douleur de laquelle nous nous associons de tout cœur. Mais le courage avec lequel il a affronté la maladie nous montre, par-delà le deuil, le chemin de la confiance et de l’énergie.

Cette disparition est une immense perte pour la pensée stratégique. Là encore pourtant, l’espoir doit l’emporter sur la peine. L’œuvre d’Hervé Coutau-Bégarie est en effet bien vivante. Elle n’est pas derrière lui, mais devant nous. D’abord parce qu’il laisse une trentaine de livres à publier, les uns de lui, d’autres dont il assurait la direction ou la codirection, d’autres enfin qu’il avait retenus pour sa collection. Ensuite parce que nous n’avons pas fini, à très loin près, de lire et de relire Hervé Coutau-Bégarie. C’est tout un processus de réédition, de classement, d’études qui commence. Du gigantesque corpus semé sur trois décennies, il s’agit maintenant d’extraire un ensemble de textes canoniques par décantation des éléments contextuels.

L’œuvre d’Hervé Coutau-Bégarie, c’est aussi la revue Stratégique et l’ISC, une association indépendante à la fois soubassement des publications et accélérateur de particules intellectuelles, qui a donné et doit continuer de donner leurs chances aux jeunes talents. Le secret de cet institut, son Président le révélait dans un texte qui apparaît rétrospectivement comme son testament : « Une recherche stratégique qui n’a qu’un pôle étatique est infirme ; elle a besoin d’un pôle associatif, plus réactif, mieux capable de fédérer les multiples initiatives de petits groupes ou même d’individus qui s’efforcent, avec de très faibles moyens, de faire vivre la tradition de la pensée stratégique et historique française » – et de rappeler que l’ISC, dans le seul premier semestre 2010, a publié pas moins de 6 ouvrages totalisant 3258 pages, soit bien plus – et de très loin – qu’aucun organisme étatique travaillant sur le même créneau (article paru dans Stratégique n°99, 2010).

Le savoir, la culture et la vision d’Hervé Coutau-Bégarie nous manqueront. Mais l’élan qu’il a insufflé à la recherche en stratégie peut continuer. L’Institut et la Revue, dont la qualité est internationalement reconnue, évolueront. Maquette, diversification numérique, cartographie, nouveaux partenariats français et étrangers, les chantiers ne manquent pas, il les avait lui-même ébauchés. La Bibliothèque stratégique, Hautes études stratégiques, Hautes études militaires et Hautes études maritimes qui constituent les quatre collections dirigées par Hervé Coutau-Bégarie chez Economica seront reprises et développées. Elles constituent le corpus le plus important d’ouvrages relatifs aux questions stratégiques et à l’histoire militaire en langue française et continueront à publier des opus ayant vocation à enrichir une réflexion enracinée dans l’étude de la culture stratégique française et celle d’autres aires culturelles. En outre, nous poursuivrons la publication du corpus des écrivains militaires en langue française dont déjà plusieurs titres sont parus, mais plusieurs dizaines d’autres attendent d’être publiés tant dans le domaine de la stratégie générale que des stratégies particulières, navale ou aérienne.

Ces évolutions nécessiteront une relève : elle existe, avec une moyenne d’âge qui la met en prise directe avec les défis actuels. Hervé Coutau-Bégarie, entre autres qualités, savait faire confiance et encourager. Il aura su, sans battage et avec des soutiens mesurés, faire monter autour de lui une génération de jeunes chercheurs et d’auteurs qui lui doivent énormément. Il a beaucoup sacrifié pour transmettre. Nous voulons maintenir et poursuivre. Tous, nous gardons à l’esprit ce qu’il ne cessait de nous répéter : la clé d’une recherche stratégique mature et objective, c’est l’autonomie de la structure qui la porte.

Hervé Coutau-Bégarie a continué à travailler jusqu’à l’extrême limite de ses forces, dictant encore des articles de son lit d’hôpital il y a quelques semaines. Pour continuer son œuvre, l’ISC doit préserver son indépendance. Il ne le pourra pas sans moyens financiers. Nous lançons donc un appel à tous les membres de la communauté des stratégistes, qui prendra très bientôt la forme d’une campagne d’abonnement à la revue Stratégique, et d’adhésion à l’ISC. Lecteurs, élèves, étudiants, amis des pays étrangers, où l’œuvre d’Hervé Coutau-Bégarie était connue et appréciée : il dépend aujourd’hui de vous tous que le titanesque travail qu’il a accompli, et que nous souhaitons faire vivre, continue de porter ses fruits.

Pour l’ISC,
Jérôme de Lespinois, Martin Motte, Olivier Zajec
(suppléants d’Hervé Coutau-Bégarie au cours de stratégie de l’Ecole de Guerre)

Emmanuel Boulard (capitaine de frégate, doctorant de l’EPHE), Armel Dirou (colonel de l’armée de terre, doctorant de l’EPHE), Jean-François Dubos (secrétaire de rédaction de Stratégique, doctorant de l’EPHE), Benoît Durieux (colonel de l’armée de terre, docteur de l’EPHE), Christophe Fontaine (lieutenant-colonel de l’armée de l’air, doctorant de l’EPHE), Serge Gadal (chargé de recherches de l’ISC, docteur de l’EPHE), Michel Goya (colonel de l’armée de terre, chargé de conférence à l’EPHE), Joseph Henrotin (chargé de recherches de l’ISC, docteur en science politique), Jean-Luc Lefebvre (colonel de l’armée de l’air, doctorant de l’EPHE) Jean-Patrice Le Saint (lieutenant-colonel de l’armée de l’air, doctorant de l’EPHE), Christian Malis (docteur en histoire), Valérie Niquet (maître de recherche à la FRS), Jérôme Pellistrandi (colonel de l’armée de terre, docteur de l’EPHE), Philippe Sidos (colonel de l’armée de terre, doctorant de l’EPHE).

mercredi 7 mars 2012

La guerre à distance-Interview Atlantico



Une interview par Romain Mielcarek pour Atlantico :

La guerre à distance-Tsahal contre le Hezbollah (3/3)


Au bilan, cette armée, qui, en 1967, avait détruit trois armées en six jours, éprouve les pires difficultés à progresser de plus de quelques centaines de mètres par jour face à l’équivalent d’une division d’infanterie légère. Il est vrai que celle-ci est bien entraînée, bien équipée et, surtout, ses hommes sont prêts à mourir au combat. Ce n’est pas la première fois que les Israéliens se trouvent mis en difficulté, le cas le plus dramatique étant celui des premiers jours de la guerre du Kippour. A  cette époque pourtant les Israéliens avaient réussi en quelques jours à trouver des parades au système opérationnel mis en place par les Syriens et les Egyptiens. En 2006, rien de tel, car non seulement les troupes terrestres ont pris de mauvaises habitudes pendant les affrontements contre les faibles milices palestiniennes mais, à force d’économies permanentes et de réductions de budgets, elles n’ont pas eu l’occasion de se préparer à autre chose.

Quand une armée est matériellement bien plus forte que son adversaire, les causes de son échec sont souvent à chercher du côté de la psychologie. La première source du ratage israélien est venue du décalage énorme entre les objectifs affichés (libérer les deux soldats capturés le 12 juillet, démanteler le Hezbollah et tuer son chef) et le prix du sang que l’on était prêt à payer pour cela, ou plus exactement le prix que l’on croyait que l’opinion publique était prête à payer. Or, le gouvernement israélien, persuadé  d’une « extrême sensibilité aux pertes », a largement sous-estimé ce prix.  En réalité, en 2006, l’opinion publique israélienne était beaucoup plus courageuse et prête aux sacrifices que l’ « opinion publiée », c’est-à-dire l’élite médiatique et politique, mais cela ne fut découvert qu’après les combats. Et lorsque la pusillanimité va jusqu’à refuser de qualifier de guerre l’affrontement armé de deux structures politiques (le conflit contre le Hezbollah ne sera baptisé guerre qu’un an plus tard), il ne faut pas s’étonner de la colère, non pas des légions mais des populations, furieuses d’être ainsi infantilisées. Le deuxième enseignement majeur est que la réduction d’un effort de défense engendre mécaniquement une réduction des capacités, surtout si les réorganisations s’effectuent selon des critères seulement comptables et économiques. L’armée israélienne des années 2000 s’est fracturée entre une force de frappe conventionnelle de haute-technologie de plus en plus coûteuse et une force d’occupation et de sécurité de plus en plus pauvre tactiquement et matériellement. Toutes deux se sont révélées incapables de faire face à une force de guérilla sophistiquée de quelques milliers d’hommes, malgré un déploiement de force supérieur au nouveau contrat opérationnel français décrit par le Livre blanc sur la sécurité et la défense nationale.

A la bataille de Valmy en 1792, Goethe assistait stupéfait à l’impuissance des armées en dentelles, belles troupes professionnelles où le soldat « était rare et cher », face aux armées des peuples. Il annonçait alors une nouvelle ère. Depuis 2001, les puissantes armées occidentales, Tsahal compris, n’ont vaincu aucune organisation non étatique armée dans le grand Moyen Orient. A l’été 2006, elles ont même toutes été mises en échec simultanément, dans le Sud afghan, à Bagdad et au Liban. Voilà peut-être un nouveau Valmy.

mardi 6 mars 2012

La guerre à distance-Tsahal contre le Hezbollah (2/3)

Lorsqu’Israël et le Hezbollah se retrouvent à nouveau face à face après le raid du 12 juillet 2006, cette logique de pseudo-bataille est poussée à son comble. Avec l’aide de l’Iran, le Hezbollah s’est doté d’une extraordinaire capacité de frappe de la population civile, qu’il a ensuite protégée par un double maillage de points d’appui d’infanterie et d’unités mobiles de missiles. Cette force de frappe d’environ 15 000 roquettes et missiles est en réalité peu meurtrière (à l’exception des missiles Zelzal mais dont les porteurs sont facilement repérables) puisqu’il faut lancer plus d’une centaine de projectiles pour tuer quelqu’un. Elle est donc peu dissuasive mais suffisante pour symboliser la résistance face à Israël. De son côté, Tsahal dispose d’une force aérienne d’une sophistication extrême en matière d’action air-sol. Avec ce puissant marteau à sa disposition, il ne voit cependant que des clous.

Après un succès rapide (la destruction des lanceurs Zelzal) qui ne fait que les conforter dans leur piège logique, les décideurs israéliens entreprennent de « paralyser le système » du Hezbollah par une avalanche de frappes, mais sans intervenir au sol. Ils en viennent ainsi à lancer chaque jour 5 000 obus et 250 missiles, bombes guidées ou à dispersion de munitions sur un rectangle de 45 km sur 25, soit au total deux fois plus de projectiles que contre toutes les armées arabes engagées dans la guerre du Kippour. L’effet est pourtant minime sur les forces physiques du Hezbollah (seulement une dizaine de lanceurs et autant de miliciens mis hors de combat quotidiennement) et nul sur sa volonté de combattre. On s’aperçoit alors qu’une campagne de bombardement, déjà difficile lorsqu’il s’agit de faire plier un Etat comme le Nord-Vietnam en 1972 ou la Serbie en 1999, devient très aléatoire face à une organisation furtive. L’idée de pression indirecte sur le Hezbollah par l’intermédiaire du gouvernement libanais n’a pas plus de succès. En revanche, malgré toutes les précautions proclamées, ces milliers de frappes finissent fatalement par toucher aussi la population civile et ce dans une proportion 50 fois supérieure aux roquettes du Hezbollah. La légitimité internationale de l’intervention israélienne se trouve ainsi sapée jusqu’à l’imposition inéluctable d’un cessez-le-feu. L’obstination dans l’application seule de la puissance de feu face à une organisation non étatique porte en elle sa propre fin.

Au bout d’une semaine et pour sortir de cette impasse, Israël décide finalement de faire prendre plus de risque à ses soldats qu’à ses civils. Il engage donc des forces terrestres, mais à la manière de raids aériens qui se veulent souples et rapides alors qu’ils ne sont que confus. Comme personne n’a expliqué aux soldats qu’ils étaient en guerre, ceux-ci commencent par agir comme dans les territoires palestiniens. Chaque décès fait l’objet d’un compte-rendu direct au chef d’état-major des armées et plusieurs missions sont annulées au premier blessé. D’autres sont réorientées en cours d’action vers d’autres objectifs où il n’est jamais question d’occupation de terrain mais d’ « effets à obtenir » souvent très flous. Plusieurs chefs sont frappés de « dissonance cognitive », paralysés par un niveau de violence et un environnement complètement inattendus. Les forces terrestres, accoutumées à des petites actions contre les Palestiniens et surtout à des missions de gardiennage, ne savent plus mener des opérations coordonnées de grande ampleur. Qui plus est, la nouvelle organisation de la logistique à base de centres géographiques soutenant toutes les unités dans une zone donnée, suffisante pendant l’Intifada, se révèle totalement inadaptée dès que l’on change d’un seul coup d’échelle et de niveau d’engagement. La structure de commandement très centralisée, habituée à piloter des petites opérations depuis les états-majors régionaux ou depuis Tel-Aviv, est saturée par le volume d’informations.

dimanche 4 mars 2012

Lecture : Quelle défense pour la France ?


Les prises de position libres sur la défense sont suffisamment rares pour être signalées même si elles ne correspondant pas forcément à ses propres opinions. Dans Quelle défense pour la France ? André Yché, ancien pilote et ancien contrôleur général des armées, livre sa vision de la politique de défense en France à partir d’une longue analyse géo-historique.


Là où je le rejoins c’est dans l’idée que les forces armées ne sont qu’un outil parmi d’autres, comme l’influence culturelle, au service d’une stratégie de puissance adossée à une véritable vision géopolitique. Ce qu’il montre très bien par ailleurs c’est la priorité qui a toujours été accordée à l’Europe dans le cadre de cette politique de puissance, au détriment des intérêts lointains. Cette priorité elle-même a fortement modelé les conceptions de l’emploi des forces par les armées elles-mêmes mais aussi par l’ensemble de la nation. La fin de la guerre froide place ainsi la France dans la situation inédite et troublante d’insularité stratégique. Par inertie intellectuelle et par le poids de programmes d’armement hérités de la guerre froide, notre défense continue à observer la lumière résiduelle d’un astre mort et reste encore fondamentalement organisée pour combattre des armées conventionnelles à nos frontières. Il est temps d’admettre enfin qu’à l’instar de l’Angleterre impériale nos intérêts à défendre sont forcément au loin et que notre outil militaire se doit de s’intégrer à cette vision lointaine, dans l’espace comme dans le temps.

Lorsqu’il s’agit ensuite de définir l’outil militaire adéquat, André Yché propose simplement de sacrifier l’armée de terre dont l’emploi est jugé à la fois couteux, inefficace et impopulaire afin de financer une pure force de projection de puissance copie à échelle réduite de l’US Navy et de l’US Air force. Et s’il faut agir au sol, ce qui ne paraît pas évident à l’auteur, forces spéciales et sociétés militaires privées suffiront bien. Il reprend ainsi à son compte, les théories les plus extrêmes des tenants de la guerre à distance malgré leur bilan opératoire plus que mitigé depuis vingt ans. L’auteur affirme ainsi, il est vrai sans grand risque, des conceptions que beaucoup d’autres se contentent de véhiculer dans les couloirs tout en fustigeant les « dangereux extrémistes » et « lobbyistes » qui expriment des doutes sur le « tout frappes ». Il a au moins le mérite de pouvoir susciter un débat ouvert.